Vers la fin de son existence, un homme normalement intelligent a réussi à comprendre deux trois choses qui lui auraient été fort utiles au commencement de sa vie.
"Choisis-toi une femme qui rit à tes blagues", professait mon grand-père. J'avais sept ans alors et je reniflais, accroupi dans un coin de la buanderie, après une nymphette pourvue de couettes, petite rousse à la beauté affolante et à l'âme non moins bouleversante - durant les cours de piano que nous prenions au conservatoire, elle pleurait en entendant du Schubert ! D'un pauvre sourire mouillé de morve, je remerciais mon grand-père de daigner m'instruire des Mystères et de soigner, dans la foulée, mes dents à coups de tablettes de Crunch mais franchement, je voyais mal le rapport entre l'amour et l'humour.
J'auréolais mon grand-père de nombreuses qualités, toutefois, pour la sagesse, il lui manquait trône, livre, voix de ténor, barbe et autres accessoires. C'était un homme bon mais terriblement ordinaire, qui occupait sa retraite à bricoler des moteurs de tondeuses à gazon et se promenait encore à son âge en tenant la main de grand-mère, ce que je trouvais affreusement gênant. Je me destinais pour ma part à de plus enivrantes aventures, moissonnant sur mon passage des créatures sublimes, de celles qui s'endorment à vos côtés, couchées dans les pages des magazines de cinéma. Bref, je n'écoutais pas et tournais les conseils de mon grand-père à la plaisanterie, car j'avais en matière d'humour un beau potentiel, que je confirmais plus tard par une solide réputation de joyeux drille.