lundi 28 juin 2010

Nous nous sommes tant ennuyés

Vers la fin de son existence, un homme normalement intelligent a réussi à comprendre deux trois choses qui lui auraient été fort utiles au commencement de sa vie.
"Choisis-toi une femme qui rit à tes blagues", professait mon grand-père. J'avais sept ans alors et je reniflais, accroupi dans un coin de la buanderie, après une nymphette pourvue de couettes, petite rousse à la beauté affolante et à l'âme non moins bouleversante - durant les cours de piano que nous prenions au conservatoire, elle pleurait en entendant du Schubert ! D'un pauvre sourire mouillé de morve, je remerciais mon grand-père de daigner m'instruire des Mystères et de soigner, dans la foulée, mes dents à coups de tablettes de Crunch mais franchement, je voyais mal le rapport entre l'amour et l'humour.
J'auréolais mon grand-père de nombreuses qualités, toutefois, pour la sagesse, il lui manquait trône, livre, voix de ténor, barbe et autres accessoires. C'était un homme bon mais terriblement ordinaire, qui occupait sa retraite à bricoler des moteurs de tondeuses à gazon et se promenait encore à son âge en tenant la main de grand-mère, ce que je trouvais affreusement gênant. Je me destinais pour ma part à de plus enivrantes aventures, moissonnant sur mon passage des créatures sublimes, de celles qui s'endorment à vos côtés, couchées dans les pages des magazines de cinéma. Bref, je n'écoutais pas et tournais les conseils de mon grand-père à la plaisanterie, car j'avais en matière d'humour un beau potentiel, que je confirmais plus tard par une solide réputation de joyeux drille.

mardi 22 juin 2010

Le nom que je porte, etc.


C’est une histoire simple, comme toutes les histoires compliquées. Je m’appelle Anna Mancini, c’est le nom que je porte. Et pourtant, ce n’est pas mon nom.

De glaise informe le golem prend vie à l’instant où le Créateur trace sur son front le mot Vérité et dépose dans sa bouche le secret de son nom ineffable.

Il fait froid. Les draps sentent la sueur et le désinfectant. Elle attend la délivrance. Elle ne dit rien, elle ne crie pas. À un moment, elle grogne comme un animal. C’est l’hiver, les ténèbres s’appesantissent. Il n’y pas de ciel. Le ventre de ma mère crache un alphabet dans le désordre.
Aïe, je fais, ça commence mal !

Tu t’appelles… Par un agencement singulier de lettres, comme une poussée de la main, on te jettera dans la vie. A, V, T, encore un T, un I et puis un N. Non, ce n'est pas ça. M, A, T, I, N. Matin. Non, ce n'est pas ça. Ça, c’est le nom du jour quand il se lève, ce n’est pas le tien.

Mon enfance est sourde. Le silence qui m’entoure est incontestable. Il m’empêche de comprendre ce que l'on me dit. Je n’entends que des bruits.
La voix de ma mère fait un bruit d’eau où se noient tous les mots.
Les rails, sous notre fenêtre, font le bruit du monde, et les clefs dans la serrure, celui qui m’en interdit les promesses.
Je commence à parler. Je demande : Pourquoi la fenêtre est-elle toujours fermée ? Je demande : Pourquoi les voix ne disent-elles quelque chose que lorsqu’elles chantent, les soirs de boisson ou d’église ? C’est la musique, m'éclaire-t-on. Je réclame le nom de mon père. Ai-je mal formulé ma requête ? On ne me répond pas.

Ah, ce nom-là ! C’est un nom très ancien, il vient de la montagne, il sent encore la neige et les destins muets comme des cailloux. Pour survivre, il a dû se mélanger à d’autres noms. Au fil du temps, il a perdu deux lettres et en a gagné une autre. C’est un nom secret, difficile à prononcer, aussi souffriras-tu que nous le taisions.

mercredi 16 juin 2010

Sommes-nous tous des golems ?

En retrouvant, dans un fatras de notes, un bout de texte abandonné tel un petit caillou dans lequel n'aurait pas shooté la semelle impitoyable de la relecture, je déterre des sédiments de ma mémoire le vif intérêt que j'avais éprouvé à la découverte du golem.
Obscure et inquiétante créature, vouée à un désespérant inachèvement, le golem capte et fascine par sa proximité avec nous. C'est ce mot, dans mes notes, inachèvement, et plus loin l'allusion à la toute-puissance du Verbe, qui ranime mon curiosité. Qui est le golem ?
Figure des origines, mystère de la création, le golem est matière informe, embryon, chrysalide, l'état d'Adam avant que Dieu ne lui insuffle la vie, Je n’étais qu’un golem et tes yeux m’ont vu Livre des Psaumes (139, 16)... Le terme golem signifie aussi, dans la tradition juive notamment, homme stupide, bon à rien, femme qui n'a pas encore enfanté, toute créature inachevée.
Sommes-nous tous des golems ?
Du golem aujourd'hui on sait surtout qu'il désigne cet être artificiel animée par quelque sorcellerie, forme générique si l'on veut de Frankenstein et consorts. On connaît le roman éponyme de Gustav Meyrink, précurseur de la littérature fantastique, ou le film de Paul Weneger, chef-d'œuvre du cinéma expressionniste allemand. On éprouve pour le personnage grossier du golem, figure romanesque simpliste et fable sur la création, une tendresse amusée.
Parfois, on en a appris un peu plus sur lui, si d'aventure en visitant Prague - qui lui doit, j'en suis sûre, sa magie mystérieuse et fantomatique - on l'a croisé au détour d'une ruelle sombre.

jeudi 3 juin 2010

La zizanie selon Louise
















La mort m'a ravi Louise Bourgeois, qui savait de moi des choses dont je ne dirai rien, mais il suffit pour s'en faire une idée de voir ses gigantesques araignées de bronze tendrement nommées maman, ses forêts de totems, l'intimité inquiétante de ses chambres pleines d'effroi et de merveilleux, et ses œufs, ses phallus, ses viscères et autres formes de bois, plâtre et latex, sculptures organiques dont on a l'impression qu'elles sentent, suintent et soupirent.
"Tout se concentre, confiait l'artiste, dans la nécessité de résister pied à pied contre ce monstre que j'appelle la zizanie, c'est-à-dire la terreur qui vient de l'enfance et qui n'exige pas moins de toute une vie, non pour la décrire mais pour l'exorciser..."