mardi 25 janvier 2011

Une nuit comme les autres


Dissimulé par la foule et une capuche, il infiltre des boîtes de nuit sommairement aménagées dans des entrepôts où, sous les lumières bleues, des filles juste pubères se déhanchent comme des animaux féériques.

Il commet quelques contorsions à contretemps sur la piste de danse. Il s'essouffle. Il a déjà vingt-cinq ans de parades, de cigarettes et d'alcool derrière lui.

Il finit la nuit en équilibre sur un tabouret de bar. Lamantin échoué. Que s'est-il passé qu'il n'a pas vu passer ?

Une sirène humide de sueur lui demande s'il est motorisé et se flanque aussitôt de jeunes gaillards aux dents blanches et à la braguette olympienne. Il les dépose au centre ville et regarde la vie les happer. Puis, le silence retentit.

L'aube vaporeuse sur la Grand-Place fait croire à un rêve dont il serait possible de se réveiller.

jeudi 20 janvier 2011

11 cm x 18 cm

Je ne me reconnais pas dans l'illustration de couverture ni dans le texte de la 4ème, pour lesquels d'ailleurs je n'ai pas été consultée...

On est si heureux autour de moi, pour moi.
La jouer blasée serait déplacé, je ne vais pas bouder mon plaisir.
Ça me fait plaisir.
L'hypothèse des forêts est disponible en poche !



Je me souviens d'une authentique euphorie, fulgurante, à l'annonce de la future sortie dans ce format improbable pour moi. Un vrai petit shoot.

Et puis... je me souviens des heures de travail, des jours, des mois d'une expédition hasardeuse. L'écriture qui s'écoule, se languit, stagne, s'emballe, s'égare, se condense sur deux ans. Deux années traversées par ce fleuve-là, convulsées par des accès de fièvre solitaire. Cela est inscrit pour toujours.

Je me souviens du mal que m'a donné la page 73, du titre qu'on a voulu me faire changer,

mardi 11 janvier 2011

Mon angoisse est une chimère

Mon angoisse est une chimère.
Corps d'enfant difforme et diaphane, sexe d'homme brun et brutal, tête de taureau, luisante, aux naseaux fumants, aux cornes aiguisées comme des lames.
Mon angoisse.
Elle est là.
Elle s'assoit sur le coin de chaise que par réflexe je lui laisse, elle s'attable et contemple en notre compagnie le ballet flegmatique des péniches sur le fleuve, elle dort dans mon lit, son petit corps d'enfant lové contre mon flanc ou accroupi sur mon oreiller. Elle m'est si familière. Souvent je ne la remarque pas. Elle hiberne dans le nid de ma pensée. Elle pèse un poids mort dont je ne peux me défaire.
Sortant par intervalle de sa narcose, elle chemine, sautillante, légère encore, à mes côtés, infiltre lentement, silencieusement, comme la nuit le jour, mes gestes, mes émois, mes enthousiasmes, mes manies, sans douleur ni méchanceté, en vertu d'une sorte de pacte de non agression. Un petit jeu entre vieux camarades.
Sa présence est dans mes pas pressés,
dans ma voix hachée,
dans l'acidité de mon espérance,
dans la caresse imméritée de l'être aimé,
dans la morsure de mon rêve,
dans ma dérision,
dans les tracas de mes organes.

mardi 4 janvier 2011

Le ciel terriblement bleu claque au vent

J’ai rencontré Nadège un jour comme celui-ci, clair et glacial. J’attendais sur la place face à l’immeuble dont je devais visiter le troisième étage avec balcon filant. Elle faisait les cent pas sur cette même place. Elle marchait très près du bord du trottoir et donnait des coups de talons dans la fine pellicule de glace qui s’était formée dans le caniveau pendant la nuit. Je regardais ma montre. Je regardais les fenêtres du troisième étage. Je regardais la fille faire les cent pas. Elle portait un manteau turquoise, des bottes en daim d’un bleu plus sombre, un bonnet et des gants assortis.
Le ciel était un ciel d’hiver, d’un bleu blessant.
Une voiture est passée lentement, a effectué un tour complet de la place. Nous l’avons suivie des yeux avec intérêt, il ne se passait pas grand-chose sur cette petite place. La voiture est repassée devant nous et s’est garée sur le passage piéton. Je me suis précipité vers son conducteur mais la fille en bleu m’a doublé, nous avions tous les deux rendez-vous pour la visite à neuf heures. Le monsieur de l’agence s’est excusé de ce rendez-vous commun en râlant contre la nouvelle secrétaire.
Quelques minutes plus tard, un jeune homme essoufflé nous a rejoints dans l’appartement où nous en étions à vanter les mérites de la douche par rapport au bain dans le microscopique cabinet de toilette. Il a prononcé quelques mots à l’oreille du monsieur de l’agence qui a dû nous quitter aussitôt : des problèmes familiaux.
Nous sommes restés avec Nadège à inspecter la plomberie en nous cognant l’un à l’autre. J’aurais dû partir, l’appartement ne me plaisait pas, mais je me suis senti obligé de lui faire un peu la conversation, et elle de me répondre aimablement. ″ Nous voilà donc deux étrangers dans une salle de bains inconnue ″, avons-nous plaisanté. Ni l’un ni l’autre n’était convaincu par le troisième étage balcon filant.
Nous sommes allés boire un café et avons emménagé ensemble dans un autre appartement, deux mois plus tard.
Aujourd’hui, Nadège veut vendre la maison, notre maison. L’installation chez Alexandre est imminente. Nous parlons en tapant des pieds sur le quai du terminal de ferroutage. Je la remercie de me prévenir, après tout depuis notre divorce, cette maison, qu’elle avait choisie et aménagée, est à elle.
Dans le froid, chacun de mes mots se matérialise en SOS de fumée et se dissout à dix centimètres de ma bouche. Il faudrait que je passe récupérer tout ce que j’y ai laissé, m’enfume-telle. Elle me sourit de toute son irrésistible fossette. Si je pouvais passer faire un premier tri dès ce week-end…
Au-dessus du port, le ciel terriblement bleu claque au vent.