lundi 31 octobre 2011

Faut-il sauver Diogène ?


Pendant trois semaines, on ne parla que de ça au Café des Sports.

A un jet de pierre de ce centre névralgique se trouvait une ruelle calme, bordée d’immeubles bas et de maisons de ville mitoyennes. Au numéro 17, dans une petite bâtisse d’un étage, vivait la veuve d’un pharmacien, octogénaire polie et réservée, n’entretenant de lien d’amitié avec personne et ne recevant jamais. Une dame bien mise et même coquette, qui ne sortait pas pour ses courses sans s’être maquillée. Une femme sans histoire, figurante discrète du quartier. Elle s’appelait Suzanne Prieur.

Les dernières années à vrai dire, le 17 de la rue Hector Berlioz avait à plusieurs reprises attiré l’attention des riverains. L’odeur qui par moment s’en échappait avait intrigué. Une odeur de renfermé, de moisissure, d’égout, de pourriture. On ne savait pas vraiment. Certains disaient de putréfaction, le boulanger du coin de la ruelle qui n’avait pas l’habitude de mâcher ses mots parlait lui de « rats crevés ». Puis, était-ce une simple question de météo, de température et de vent, ou de fenêtres ouvertes ou fermées, on ne sentait plus rien, on n’y pensait plus et on avait bien d’autres chats à fouetter.

Un matin de fin novembre, c’est une autre odeur, celle de plastique brûlé, puis la fumée qui avaient poussé les voisins à composer le 18. En l’absence de Madame Prieur partie faire le marché, les pompiers avaient dû enfoncer la porte d’entrée. L’origine du départ de feu, vite maîtrisé, était un sac plastique posé sur un radiateur d’appoint.

Avant même que madame Prieur fût au courant de l’incendie, nous étions nous, au Café des Sports, déjà informés de l’intervention des pompiers mais surtout du spectacle hallucinant qu’avait donné l’intérieur de la maison.

jeudi 20 octobre 2011

Deux amies ou C'est encore plus dur le matin


Peut-elle la dépanner de quelques anxiolytiques... même légers ? C'est stupide, elle n'a pas eu le temps de faire renouveler son ordonnance. La voix de Marie grelotte à l'autre bout du fil. Xanax, Seresta, Lexomil… enfin ce que tu as, si tu as, tu as ? Elle miaule et geint en émettant des reniflements secs et précipités qu’aucun encombrement nasal ne justifie. Elle arpente le salon depuis un moment déjà, enfonçant d’un talon mélodramatique ses pieds dans l'épaisse moquette changée la semaine passée sur un coup de tête, un jour de cafard encore. De sa main libre, la secourable amie arrachée à son sommeil ouvre les volets de sa chambre. L’aube anémique jette aussitôt dans la pièce une lumière morne et décourageante. Oui, bien sûr, son amie lui apportera une plaquette de quelque chose. L'anxiété dévaste Marie par bourrasques. Ce matin, il y a quatre jours et la semaine précédente encore à deux reprises. Le soupçon, plus insidieux, œuvre lui avec constance et la ronge de ses dents minuscules de perforeuse. L'objet de son tourment : Antoine. De plus en plus. Antoine, tu vois, est comme absent. Antoine est, disons, distant. Antoine est, comment dire encore, fuyant. Ils se voient moins souvent. Le soir. Elle reste seule. Le soir. De plus en plus souvent seule.


mardi 11 octobre 2011

Porte 217

J’arrive.
Séance tenante, je laisse tout : déjeuner, rendez-vous, lessive, ordinateur.
J’arrive.
La mort n’attend pas. Contrairement à la vie, avec qui on peut toujours remettre à demain. La mort exige notre présence. Elle commande et tranche. J’arrive. Sans discussion ni délai. Bien que ma présence là-bas ne change rien à l’affaire.
Le trajet en train est d’une durée déconcertante, rien à voir avec le 1 h 30 calculé par les services internet du Transilien. Le trajet dure des années, dure dix secondes.
Je suis calme. Je ne crois pas être triste. Je me contente de répondre à l’appel.  
Je n’ai pas été surprise. Je savais. Non seulement en raison du caractère inéluctable de son agonie mais parce que je me suis réveillée à cinq heures du matin avec la certitude que c’était arrivé. Je n’ai rien dit plus tard à mon mari et mes enfants qui s’envolaient pour des vacances où je savais que je ne les rejoindrais pas. Dire quoi ? Que quelque message surnaturel, venu des tréfonds, de la nuit de l’âme, m’avait alertée ?