mercredi 29 février 2012

Je suis un salaud


Par courtoisie je lui proposai de rester dormir, la correction eut voulu qu’il fît au moins mine de ne pas vouloir déranger. Il passa outre et déplia aussitôt le canapé en se désolant que le matelas en fût si fin.
Ses sanglots m’empêchèrent d’abord de m’endormir puis il me réveilla vers cinq heures du matin en venant s’asseoir sur le bord de mon lit pour parler. Je lui coupai la parole vers sept heures, il était temps que j’aille travailler. Par la fenêtre, il m’adressa un pitoyable salut. Son visage était décomposé. J’entrai en hâte dans la bouche du métro.
Les premiers jours, je n’osai pas aborder la question de son futur logement. Il avait du mal à marcher et souffrait beaucoup des lésions de son accident de l’an passé. Mon appartement plein nord n’arrangeait rien ; il me demanda de lancer des travaux d’isolation. Le sort l’accablait, on le plaignait et on me suggéra de lui laisser ma chambre plus confortable et mieux chauffée. Un silence réprobateur suivit mon refus.
Une bonne semaine plus tard, alors que je ramenai à la maison une pile de journaux d’annonces immobilières, l’un de nos amis communs s’indigna du peu de tact dont je faisais preuve face à la détresse d’un homme qui, en plus d’être physiquement diminué, avait perdu son emploi et s’était fait mettre à la porte par sa femme pour infidélité chronique. Il est à la dérive, renchérit un autre, laisse-lui au moins un peu de temps.

mercredi 15 février 2012

Trois soleils..., Les Amnésiens (6)


Trois soleils tordent le ciel d'hélices incandescentes. Pour cette messe polaire, les combats cessent. Les hommes s'inclinent et leurs armes tombent dans la neige.
Les Pôles recèlent de ces instants de pure féerie. Ils naissent du camaïeu de bleus d'un glacier fendu, de l'assemblage des nuages, de sastrugi à perte de vue sous une lumière oblique, de la moindre variation dans ce paysage uniforme. Hors de ces brefs épisodes enchanteurs, les Pôles figurent le néant par leur impitoyable dépouillement. Aucun apprêt ou fioriture n'adoucit ces étendues désespérantes. On dit que seul Dieu peut y trouver refuge à sa mesure. On prétend que l'essence de toutes choses y demeure, débarrassée des scories du monde et des masques de la vie même. On murmure aussi que celui qui survit en cet univers monocorde, passés l'effondrement premier et le renoncement qui le suit, connaît une forme d'extase. Quelque chose qui y ressemble se lit dans les éclats fiévreux des yeux des plus anciens combattants.

mercredi 8 février 2012

Au coin du feu

En fin d’après-midi, Maurice allume le feu. C’est toujours lui qui s’en charge et il ne viendrait à l’idée de personne de lui contester ce privilège.
Aux premières volutes de fumée, épaisses et tortueuses, qui s’élèvent dans le ciel cinglant, on se précipite en ayant l’air surtout de ne pas se presser, d’arriver presque par hasard pour une visite amicale. En vérité, nous sommes prêts pour ce rendez-vous depuis au moins une heure, parfois même depuis le matin, et s’il en manquait un, on s’inquièterait. On laisse d'abord arriver Vince, le fils spirituel du maître des lieux, puis en désordre viennent prendre place autour du feu, Jeannot, le Prof, Max, Dina, Ali, Claude, Jeff et moi.
On se salue avec effusion comme si on ne s’était pas croisés depuis longtemps. On prend des nouvelles. On essaye de ne pas arriver les mains vides, qui avec des cigarettes, qui avec un paquet de gâteaux, et une ou deux bouteilles bien sûr.