vendredi 28 septembre 2012

15 minutes d'entraînement par jour


Accueillez la vie avec le sourire, elle vous le rendra.
Je dois avoir l’air particulièrement sinistre pour qu’elle me tende cette maxime par-dessus le zinc fatigué.
Je ne riposte pas et réponds à sa bonne humeur matinale en me redressant le plus gaillardement possible sur mon tabouret de bar.
Il ne sert à rien d’opposer à la généreuse naïveté de Mireille mon cynisme. Je m’y suis essayé au début, me délectant même de ce petit intermède en guise d’échauffement avant d’attaquer le désastre de la journée.
Cela ne m’apportait qu’un fugitif ricanement dépourvu de réel bénéfice et attristait Mireille sans la convaincre. Alors, à quoi bon ?!
Mireille est agent d’entretien dans la champignonnière d’immeubles de bureaux de La Défense, je suis cadre supérieur dans l’un de ces prétentieux sièges d’entreprises.
Pour signaler à ma camarade de bistrot que malgré ma mine peu engageante je suis disposé à entamer notre conversation quotidienne, je lui fais remarquer que les jours rallongent et qu’une aube presque rose – j’ose « l’aube rose » – nous salue à travers la vitre poussiéreuse. Oui, ça fait du bien, on se sent plus vaillant hein !?

jeudi 20 septembre 2012

Calcinée


Comme les autres.
C’est sans doute de cette formule en creux dont on la qualifia le plus souvent au cours de son existence.
Elle s’était arrangée de ce jugement, s’y était abritée ou tout simplement reconnue.
A la première bouffée d’oxygène qui déchire les poumons, Alice déjà campait un nourrisson sans particularité. Comme les autres. Pas comme Gabriel qui était sacrement costaud, souviens-toi, ou Clara tellement éveillée et Paul si charmeur. 
Dès le premier cri, voilà, s’est inscrit : le cri est là mais c’est comme s’il ne voulait pas faire de bruit.
Ça commence tôt « comme les autres » puis ça vous colle à la peau et ça finit par vous ronger les os.
Mauvais sort, fatalité, implacable maillon de la spirale Adn, qu’y peut-on? Sans doute d’ailleurs n’est-il pas pertinent de vouloir y changer quelque chose. Pour mettre quoi à la place ?
Comme les autres. On peut y voir une légère déficience ou une chance, c’est selon, un handicap pour se hisser dans la communauté des hommes, un atout pour s‘y fondre.
Voilà la petite Alice. Une enfant sans problèmes, ni charmes ni défauts notables. Comme les autres. Quoique imperceptiblement en deçà. Si discrète, tellement réservée. Une petite fille passée à la gomme.
De ces enfants dont les institutrices oublient le nom, que rien ne distingue sur la photo de classe, qu’on ne remarque pas plus sur les bancs du catéchisme ou au sein de la tribu, nombreuse, des frères et sœurs.

mardi 11 septembre 2012

Une petite place dont vous tairez le nom


Il est 9 heures à peine.
Avec des tendresses de pastel, la lumière ambre les toits. Rien dans sa douceur ne laisse présager la cruauté verticale du soleil d’août.
Il est si tôt encore, et vous vous émerveillez du gris moelleux des pavés sous les rayons duveteux.
C’est l’instant où la place s’enchante. Intime et gorgée de promesses, elle ne se donne qu’à vous, d’ailleurs vous êtes seul à cette heure matinale. Mais même au plus fort de la journée, elle gardera ce petit côté villageois et ne sera traversée que par ces autochtones solitaires qui goûtent nonchalamment les lieux comme s’ils étaient un balcon à leur deux pièces.
Vous êtes assis à l’une des trois petites tables de l’unique café ouvert. Trois tables seulement car le patron n’a pas l’esprit mercantile, il ne lui viendrait pas l’idée d’exploiter les faveurs de l’été et trop de clients ne lui causerait que de l’embarras. Trois petites tables rondes seulement. Plus, de toute façon, gênerait la circulation des poussettes s’il s’en trouvait à passer.
Un client vient parfois occuper une table voisine de la vôtre. Vous vous adressez un salut discret de la tête. Quelqu’un du quartier selon toute vraisemblance, quelqu’un que vous avez dû croiser, côtoyer peut-être depuis longtemps, sans vous en apercevoir car le reste de l’année on n’a pas, vous le savez, la même figure ni le regard disponible pour remarquer la figure de quiconque.  
Vous ne faites rien, ou si peu de vos journées. Vous vous attachez à ne pas souiller votre bien-être d’ambitions futiles. La ville vous appartient toute entière depuis cette petite place nichée au creux d’humbles ruelles, et cela suffit.