mercredi 24 octobre 2012

Ma mère à sa fenêtre


Elle se réfugiait dans sa chambre et n’en ressortait que deux ou trois heures plus tard, en tout cas bien plus que le temps nécessaire à un changement de robe ou un brushing.
Maman qui ne se montrait jamais sans être impeccablement apprêtée, si aimable et présentable.
Maman avait des absences.
De temps en temps, et cette année-là, presque tous les jours.
Je jouais dans le grand couloir. Je guettais sans en avoir l’air et l’entrevoyais furtivement par l’embrasure de la porte. Immobile des heures durant, elle semblait regarder par la fenêtre. La valse hypnotique des nuages, le vol aigu des martinets, la lumière fantasque entre les branches des peupliers. L’illusion d’une paisible contemplation durait le temps d’un battement de cils. D’un battement de cils seulement car son attitude ne recelait rien de joyeux ou de méditatif. Je me détournais, effrayé par la fixité de son regard. Je repartais sur la pointe des pieds, chose inhabituelle pour l’enfant bruyant que j’étais. Je percevais sans rien y comprendre l’inquiétante étrangeté de ce tableau.

mardi 16 octobre 2012

Sans titre 10



Sun in an empty room - Edward Hopper




Méditation ou effroi, l’image est sourde, le silence palpable et je me suis diluée dedans.
L’absence enfermée dans la géométrie des murs tend sa psyché. Dans le vide palpite la lumière qui est l’œuvre et entre dans la toile, dans la pièce, dans mon crâne, la lumière à laquelle je cède et souris, j’ai cessé d’exister.
 

 

samedi 13 octobre 2012

Crépuscule vert sur le périphérique


Crépuscule vert sur le périphérique. Lueur onirique, sirupeuse et amère. A ce crépuscule-là que j’ai laissé derrière moi, l’âme en fête,  je reviens le cœur en charpie.
Heureux celui qui comme Ulysse …
Sur mes maigres épaules tombe en pelures le manteau du désenchantement.
Crépuscule vert comme nulle part ailleurs me reconnais-tu ?
J’ai fait le tour du monde.
Je ne le raconterai pas ou bien je l’inventerai.
Je reviens m’échouer, bois flotté, à l’écume brune des entrepôts d’Aubervilliers, recraché par la gueule d’un rêve étoilé à la Rimbaud. Tour du monde. Pont de Bagnolet, point d’arrivée.
Pont de Bagnolet. Ce n’est pas ce que je voulais. Éblouissements vert-de-gris dans les miroirs des tours. Mains crispées, corps chaviré. Amarré à la rambarde. Happé par la coulée automobile. De la tête au pied, tremblements. La ville crisse sous mes dents et lime mes nerfs.
Me voilà de retour. Une décennie plus tard, au point de départ. Aussi brisé qu’un soldat.
Dix-huit ans pile, âge de conscrit, je suis parti. La vie était un beau voyage et je comptais m’y tailler une place de choix à la mesure de ma faim.
Paris aujourd’hui. Vingt-huit ans. Paris de nouveau. Après la boucle autour de la terre. Pour toute gloire la connaissance des k.-o. et le parfum de tous les caniveaux du monde.
Porte des Lilas, il y a-t-il une place pour celui qui n’a pas fait fortune ? Tour de la ville. Porte des Lilas, je ne connais plus personne. Plus un visage, plus un rade, plus une cage d’ascenseur.