mercredi 28 novembre 2012

Ermite sans dieu


Grise comme un ciel d’orage, une fièvre émerveillée.
La mer de moire vieil argent.
Dans le petit port, les coques fantomatiques des bateaux de plaisance agitent leurs amarres aux reliquats de houle.
Il dépasse leurs plaintes de fiancée délaissée et poursuit son pèlerinage quotidien vers la mer, fidèle et farouche. Celle qu’il aime et dont il est le seul à goûter la beauté nue.
Grise, profonde, un ciel d’orage étendu sur le sable.
Hors saison, loin des impostures. La plage d’abord, en guise de préliminaires, diaphane et pure après le fard des parasols et des serviettes aux couleurs racoleuses. La mer enfin, rincée par les pluies de septembre, délivrée des voiles qui s’accrochaient à ses flancs comme des breloques de foire, libérée des avances de ceux qui croyaient la prendre par la taille d’un plongeon prétentieux.
La station balnéaire comme la plage, la mer, est déserte. La promenade fouettée par le vent, les maisons aux paupières closes, les portillons abandonnés qu’obstrue la broussaille.
Sa silhouette flotte dans ce monde dépeuplé comme une petite flamme hiératique.
Pas âme qui vive. Du matin au soir. D’est en ouest. Parfois un animal errant, un marin furtif qui rejoint son bateau, le vol d’un cormoran.
Au début, quand il a décidé d’emménager définitivement ici, il a cru qu’elle allait le tuer de solitude et d’ennui, l’ouvrir jusqu’à l’os d’une vague dentelée,

vendredi 16 novembre 2012

Une pie solennelle


Sur la table, la jacinthe en bourgeons refuse de fleurir.
Des engourdissements fulgurants paralysent mon genou gauche et m’obligent à remettre la plupart de mes engagements.
Mes conversations téléphoniques sont brutalement interrompues et durant quelques secondes, je me confie à un signal sonore.
Avec l’humidité, le bois de la porte d’entrée a tant gonflé que dedans je ne suis plus sûr de pouvoir sortir et dehors de pouvoir rentrer.
Une concrétion de nuages dessine une gueule à l’horizon, et grandissant d’heure en heure, menace de dévorer tout le ciel et plus encore.
Sur la branche dénudée du hêtre, une pie solennelle reste perchée et me regarde fixement.
Les signes s’accumulent.
Mais que me disent-ils ?

mardi 6 novembre 2012

Je veux rentrer chez moi


Vous riez.
Un entrefilet dans la presse se gausse de mon appel à la gendarmerie : un évadé qui demande à retourner en prison purger sa peine. C’est cocasse !
Vous riez.
Les gendarmes hilares sous la mine professionnelle m’ouvrent avec une solennité narquoise la portière du véhicule de fonction. Sur le chemin qui les a menés à moi, ils ont bien rigolé.
Force points d’exclamation. Alors celle-là, c’est la meilleure ! Vous riez.
Cela n’a pourtant rien de comique et je ne suis un cas isolé que par ma spontanéité.
Mes camarades, plus équivoques, louvoient et adoptent pour un résultat identique des stratégies sophistiquées : provocations et agressions intra-muros qui prolongent la peine, grossières récidives dès les premières semaines suivant la sortie. Croyez-vous vraiment que nous soyons à ce point idiots pour nous jeter sans intention, encore et encore, dans la gueule du loup. Nos injures et nos protestations quand les menottes enserrent à nouveau nos poignets, quand la lourde porte se referme, vous illusionnent sans doute. Êtes-vous idiots ?