L’hiver
est interminable. Il neige sur ses yeux. C’est tant mieux, où qu’elle porte son
regard, les choses paraissent ternes et sans issue.
Il
a sept ans. Il n’a pas de nom. Trois mois après sa naissance, sa grand-mère a
mis fin à l’inconcevable. Elle s’est penchée sur le berceau et a murmuré
« Julien… ».
Sa
mère, elle, continue de l’appeler l’enfant.
Comme
chien, prairie, océan, pot en terre… elle dit « l’enfant ».
« Viens l’enfant ! Où est l’enfant ? ». Parfois, au comble
de l’amour, elle dit : « Mon enfant ».
L’égalité
des jours est un refuge désespérant. Elle prend le bus matin et soir, aux
heures de pointe. Elle est debout dans l’allée centrale, accrochée à une
poignée en plastique. Souvent elle fredonne en rêvant de tenter sa chance sur
les bateaux de croisière. Elle a une belle voix. Son trajet est long. À chaque
arrêt, elle est refoulée un peu plus à l’arrière. Elle pense au paysage radieux
des campagnes au printemps. Elle dit à voix basse, à cœur murmurant :
« J’aimerais marcher au bras d’un homme, qu’avec notre amour nous
regardions au-delà des courbes vertes des collines… mais mes yeux sont
fatigués, mon ventre flétri et l’enfant pleure la nuit. »
Elle
rêve en marchant, astiquant, passant du rouge sur ses lèvres, découpant en
petits cubes la viande de l’enfant.
Elle
feuillette un livre sur le Brésil. L’enfant est dans l’armoire, il se tait.
Elle tient la petite clé dans sa main.