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Et
tu en as eu combien ?
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74.
Le nombre
sort en chiffres pas en lettres. Il claque.
Aussitôt,
il a un peu honte de son exactitude de comptable. Son ami d’enfance reste
bouche bée. Il fait « Ah ouais,
quand même. ». L’ami d’enfance est
impressionné, favorablement ou non c’est difficile à déterminer. « Ah
ouais, quand même », comme un médecin qui s’incline devant les symptômes
d’une maladie, comme le supporter saluant la performance du sportif.
74
épisodes infidèles depuis qu’il en
emménagé à Bordeaux. Pas 74 femmes, 46
seulement mais il se retient d’apporter cette précision. L’envie qu’il lui
semble déceler chez son interlocuteur l’en dissuade et le requinque. Il ne lui
dira pas à quel point il s’ennuie.
L’ami
d’enfance l’a sans doute toujours jalousé pour son audace. C’est lui qui invariablement
les entraînait. Quatre cent coups pour s’amuser, pour empoigner la vie. Ses
infidélités d’aujourd’hui, c’est un peu comme leurs méfaits d’enfant.
-
Voler
des pêches, tu te souviens ?
Oh oui,
cette année-là, les jours, les nuits, brûlants. Deux garçons désœuvrés dans
l’été intenable. S’aventurer au bout du village, passer par-dessus la barrière
du verger le cœur battant. Frapper les branches avec des épées en plastique
pour faire tomber les fruits. Le jus des pêches qui coule sur le menton, le cou.
Puis, surgi d’entre les arbres, précédé d’un juron et de son fusil, le fermier.
Abandonner les fruits, courir, s’égratigner au talus de ronces. Courir encore. La
route interminable et le goudron qui colle aux semelles. S’arrêter à bout de
souffle. Vomir sous le soleil éclatant. Des bêtises d’enfant.
Ils rient
à ce souvenir. Ils trinquent aux insouciants méfaits. Les premiers beaux jours
sont arrivés. La terrasse est en plein soleil. Ils ont pris des cafés frappés
et les glaçons tintent joyeusement. Ouais, voler des pêches…
-
Et
Marie ? demande l’ami
-
C’est
une femme intelligente.
-
Tu
veux dire qu’elle ne dit rien ?!