mardi 25 mars 2014

Au Sud


Je voulais le soleil
J’ai eu l’ombre des ruelles sans ciel
Leurs femmes, je ne les ai pas séduites
Leur genou n’a pas plié devant moi
Ni leur esprit goûté mes ténèbres nordiennes
Dans les ruelles sans ciel
Je crache vers l’inaccessible soleil
Bras dessus bras dessous, ils passent bravaches
Lâchant gaiement pets, rires et mots éclatants
Rouge cristal et or torrentiel
Je reçois les postillons scintillants de leur langue
Elle chante dans leur bouche et me gifle sans relâche
Je n’y comprends rien, ne la parle toujours pas
Et ils se rient de moi
Retourner au pays d’où je viens ?
La queue basse comme un chien
Ma honte est la plus haute frontière
De ce côté-ci, je reste
À me dessécher comme écorce d’orange amère
Dans le recoin le plus obscur du Sud
Où je ne suis pas plus que là-bas poète ou prophète
Ni par ultime défi simple vagabond
Je n’ai pas la grâce de ceux qui brûlent au zénith et se font de la poussière
Un matelas moelleux un vaisseau miraculeux
Je ne suis même plus le rêveur du Nord
Je me suis tant moqué de mes frères nordiens,
De leurs nuages bas de leurs rêves falots
Ceux-là que j’ai abandonnés et qui étaient les miens
Comment revenir et leur dire que le soleil est un leurre
Et que je suis pauvre hère, misérable et menteur
Prier qu’ils me laissent à nouveau dormir
Dans la douce froidure des nuages qui bornent leur vie

mercredi 12 mars 2014

Porter le regard ailleurs, n'importe où conviendrait


J’ai pris dix ans, deux avec sursis. Ma peine démarre tout juste, onze mois seulement.
Je fais exactement ce qu’on m’a prédit que je ferai. Je compte chaque jour, chaque minute, alors même que la mesure commune du temps n’a plus cours.
Depuis ma condamnation, je tourne en rond, je tourne à vide. Les dix ans, je les ai déjà pris : mes yeux sont cernés, mon visage raviné, ma démarche éreintée.
Rue de la Santé - Yves Tanguy, 1925
Tous les jours, je caresse le mur de ma main, je le lèche, j’y colle mon oreille. J’imagine le bruit de ses pas, de son cœur, de l’autre côté.
Je viens en fin d’après-midi, à l’heure du déjeuner, quand je peux.
Je colle mon oreille dans l’espoir d’une aubade, d’un mot miraculeux qui donnerait la force de pousser la roue du manège, mais finalement dois me débrouiller seule avec le silence.
Je vais prendre un thé, dans le bar en face où boivent en fixant le mur celles de mon espèce, jeunes ou vieilles, égarées ou désespérées, solitaires ou flanquées d’enfants impatients ou muets.
Je suis la femme du caïd. 
Je dis ça pour me moquer car aussi peu nobélisable que je sois, je ne suis pas stupide à me prendre pour une héroïne de cinéma.
Je ne suis pas la femme du caïd, nous n’étions pas mariés et il ne mérite pas ce titre ronflant, c’est juste un homme que la chance a trahi, un qui n’a pas beaucoup de jugeote sinon il ne se serait pas embarqué dans une affaire aussi risquée et n’aurait pas accepté l’arme que cette arnaque ne justifiait en rien ; avec une arme c’était sûr, c’était trop tentant, il tirerait et il a tiré.