mardi 23 septembre 2014

Le défi du 23 septembre 2014


Il n’est jamais trop tard.
Parole de sage ou de raté. À ce détail rhétorique il refuse de s’attarder et ne cède pas plus à la tentation de disserter comme l’y enjoint sa nature retorse.
Il n’est jamais trop tard. Un point, c’est tout.
Il va, maintenant, entrer dans la vie. Vraiment. Comme on entre dans la mer. Ça tombe bien, la mer s’étend ample et verte à ses pieds.
23 septembre 2014, premier jour de vacances dans ce coin perdu de la côte amalfitaine. Les conditions les plus favorables sont réunies pour son audacieux projet. Vivre. Hic et nunc.
Voilà trop longtemps qu’il se sent comme une plaine désolée.
Quelques jours avant son départ, la pitié que lui a souvent inspirée l’inconséquence de son existence était parvenue à un degré jamais atteint encore. Au cours de la soirée, des amis s’étaient délectés du souvenir de magnifiques paysages du Connemara qu’ils avaient découverts ensemble dix ans plus tôt et l’avaient taquiné à propos de ce tableau qu’il voulait à toute force acheter à un vieux peintre récalcitrant. Autant de choses dont évidemment il ne se rappelait pas.
Défaut d’attention ou d’implication. La rapidité avec laquelle les instants sombraient définitivement dans l’oubli était sidérante. Il ne retenait rien. Pour parler clair, ne vivait pas ce qu’il vivait, ne faisait que survoler sa vie, toujours occupé à autre chose, pressé par l’instant d’après, obsédé par celui d’avant, déterminé à ne pas se risquer dans le bain corrosif du présent. Ce constat d’une insondable tristesse lui était venu avec un début de gueule de bois. Il s’était couché totalement déprimé aux côtés de sa pauvre vie toute nue. Son anniversaire approchait et, du point de vue statistique, il était parvenu à la moitié de son existence ; la première moitié étant censée être la plus exaltante. Et qu’en restait-il ? Pas grand-chose. Quelques moments forts – pas forcément ceux auxquels on s’attend –, une poignée de mornes îlots essaimés à des mois, des années de distance les uns des autres.
Tenu éveillé par ces lancinantes pensées, le lendemain il avait décidé d’une révolution et réservé un billet pour Naples.
Il n’est jamais trop tard.

lundi 1 septembre 2014

Moscou s'en fout

Souvenirs d'il y a quelques jours, d'il y a vingt-cinq ans

Les bulbes d’or résonnent dans l’aube grise. 
Tu n’entends que ça. D’un noyau de silence, la vibration des bulbes d’or. 
La place est déserte semblable à cette même place déserte il y a vingt-cinq ans.
Tannée par les siècles, la cathédrale se moque de la poignée d’années qui est ta mesure, des anciens et des nouveaux régimes, de la figure des vitrines qui sait maintenant farder les jours mais n’y change rien. Dieu demeure, immuable au clocher des églises, et la vie pareille peuplée d’hommes aux  lourdes paupières.
Toi seule as changé. Une sensation grise et fanée sous les côtes. Sur toi seule le temps semble avoir passé pareil à une marée furieuse, pleine de promesses et de récifs tranchants.
Tu avais la vingtaine et, à la proue des villes, tu guettais l’intrépide rouleau d’écume. Tu l’attendais comme on attend d’entrer dans la vraie vie – est-ce qu’il arrive ? le vois-tu ? est-ce pour maintenant ? – et il y avait à tes côtés quelqu’un qui n’habite plus cette vie, qui était plein d’impatience et de faim, bien décidé à rire et à prendre les plus belles vagues.
Évidemment, Moscou ne se souvient de rien et se foutait de votre espérance, de cette attente de jeunesse, démesurée et insomniaque, dépourvue encore de l’acidité qui menacera de tout ronger de l’intérieur.
Aujourd’hui, en dépit de la brûlure des ans, si l’ami avait été là, vous auriez trouvé, tu en es sûre, le moyen de rire et de voir vos rêves miroiter dans l’or des clochers.
Et rien que d’y songer…, oui, il y a bien quelque espérance immense qui s’enroule autour des bulbes d’or et de ton cœur.