J’étais
un enfant, je vivais avec mes frères et mes parents en lisière d’une petite
ville de banlieue, dans une modeste maison environnée de campagne, champs à
perte de vue et forêt touffue, derrière une inextricable haie de thuyas où s’attardait
la rosée et proliféraient les araignées.
J’étais
un enfant, je vivais dans une dimension plus vaste que la simple réalité de ma
famille, de l’école, de la haie de thuyas, entouré de créatures invisibles et
d’objets doués de vie. Aussi loin que je me souvienne, j’entrais en
communication avec tout ce qui peuplait le monde. J’assistais depuis la
terrasse aux conciliabules des moineaux sur la meilleure façon de berner le chat
des voisins, la pluie frappant les carreaux de ma chambre m’envoyait des
messages cryptés, le fauteuil râpé sur lequel je livrais des batailles de
figurines m’alertais toujours au retour de mon père de son humeur, d’un massif
de graminées le long du chemin s’échappait un ensorcelant bouquet de voix de
fillettes… Tout vivait, bruissait constamment et le plus simplement qui soit.
Un jour, au
fond de la remise abandonnée, dans les rayons lumineux d’un tourbillon de
poussière, le temps d’une vibration de l’air, m’apparut même un ange, un vrai,
sans ailes mais doté de l’intensité de présence propre aux êtres de cette
nature. J’en fus saisi, sapristi un ange ! puis transporté mais pas
effrayé. Une enfance pétrie de catéchisme et de vieux contes où le surnaturel
règne en maître et des dispositions naturelles m’avaient déjà rendu familiers
les esprits de toutes sortes.