Au milieu des labours, le centre commercial forme une figure géométrique complexe, d'un gris perlé délicat aux reflets métalliques. En fin d'après-midi, quand le ciel est dégagé, le soleil se multiplie sur ses nombreuses facettes ; alors, il rivalise sans effort avec l'astre lui-même. Vers lui convergent les habitants des villes voisines et même, de tout le département.
Une fois par semaine, tu te rends au centre commercial, tu pousses ton caddie à travers le quadrillage impeccable des allées de l'hypermarché où s'écoulent la douce rumeur des consommateurs conquis et la voix hypnotique des annonces promotionnelles. Parfois ton fils t'accompagne mais la plupart du temps tu le laisses à la garde d'une voisine. Tout ici suscite son envie et sa jeunesse lui interdit de comprendre la cruelle supériorité de la nécessité sur le désir. Tu déposes dans ton caddie des conserves de marque distributeur, des kilos de pâtes, des yaourts et, en fonction des offres des têtes de gondole, pour le plaisir, tu prends une tablette de chocolat aux noisettes, un lot de socquettes.
Une fois par semaine, tu te rends au centre commercial, tu pousses ton caddie à travers le quadrillage impeccable des allées de l'hypermarché où s'écoulent la douce rumeur des consommateurs conquis et la voix hypnotique des annonces promotionnelles. Parfois ton fils t'accompagne mais la plupart du temps tu le laisses à la garde d'une voisine. Tout ici suscite son envie et sa jeunesse lui interdit de comprendre la cruelle supériorité de la nécessité sur le désir. Tu déposes dans ton caddie des conserves de marque distributeur, des kilos de pâtes, des yaourts et, en fonction des offres des têtes de gondole, pour le plaisir, tu prends une tablette de chocolat aux noisettes, un lot de socquettes.
Aujourd'hui, la voisine est occupée. Ton fils vient avec toi et il se fait une joie de cette excursion.
Vous préférez vous rendre au centre commercial à pied plutôt que d'emprunter la navette. Ton fils a sept ans et sa vitalité exige l'espace, la course, la vitesse. Il est heureux, il galope, shoote dans les cailloux, aimerait qu'on achète un nouveau ballon et des céréales Crunch au lieu des pétales sans marque dont il remplit son bol tous les matins. Ton fils est un enfant gentil et rieur, malin et curieux, insatiable. Sa faim est celle des enfants, irrépressible, souveraine. Toi aussi, tu étais affamée à son âge ; depuis tu as appris à mater le désir, la vie s'est rétrécie, ton appétit s'est adapté ou peut-être l'inverse. Ce qui te reste de faim est un mélange de frustration et de colère.
Vous préférez vous rendre au centre commercial à pied plutôt que d'emprunter la navette. Ton fils a sept ans et sa vitalité exige l'espace, la course, la vitesse. Il est heureux, il galope, shoote dans les cailloux, aimerait qu'on achète un nouveau ballon et des céréales Crunch au lieu des pétales sans marque dont il remplit son bol tous les matins. Ton fils est un enfant gentil et rieur, malin et curieux, insatiable. Sa faim est celle des enfants, irrépressible, souveraine. Toi aussi, tu étais affamée à son âge ; depuis tu as appris à mater le désir, la vie s'est rétrécie, ton appétit s'est adapté ou peut-être l'inverse. Ce qui te reste de faim est un mélange de frustration et de colère.
Pour accéder à l'hypermarché où tu fais tes courses, tu dois traverser toute la galerie marchande, ses boutiques aguicheuses de vêtements, de comestibles, d'appareils ménagers et de jeux vidéo. Tu marches d'un pas vif vers les tourniquets de l'hypermarché, tu n'as pas de temps à perdre. Au retour, tu dois parcourir le même trajet en poussant le caddie chargé dont le poids rend le maniement pénible, tu passes une nouvelle fois devant ce manteau bleu pâle aux boutons nacrés. Tu ne t'arrêtes pas. La nuit va tomber et la voisine s'impatienter.
Aujourd'hui, c'est différent car il est là et il veut voir, il s'arrête devant les vitrines, entre dans les boutiques. Est-il raisonnable déjà ? Il trouve tout formidable mais demande rarement. Chez le chausseur, il repère aussitôt ces baskets violettes à surpiqûres orange. Il a besoin de chaussures neuves, cela depuis le mois dernier déjà. Ils grandissent si vite à cet âge. Pourtant lui il ne sait pas ce que c'est que des baskets trop petites car les paires bon marché que tu lui achètes ont une espérance de vie de quatre mois tout au plus. Ton fils s'empare des baskets, les touche, les caresse, te les montre. C'est difficile de toujours refuser à son enfant affamé.
Tu tires ton fils par la manche, vous êtes pressés. Tu dis : une autre fois Martin. Mais il en a presque les larmes aux yeux de désir. Une boule de colère grossit dans ta poitrine. Tu le bouscules, tu lui fais mal en lui tirant le bras. Autour de vous, des gens se déchaussent, contemplent leurs pieds parés de neuf, hésitent entre deux modèles. On y va, chuchotes-tu.
Il a compris, il connaît bien ce ton-là, ta voix quand elle crie tout bas pour ne pas se faire remarquer. Cette fois-ci, il n'obéit pas. Il se saisit dans la pile de boîtes à chaussures de la pointure qui lui convient et il essaie les baskets. Elles lui vont bien. Tu t'écartes d'un silence brusque, tu l'attends hors de la boutique, les doigts crispés sur le caddie. C'est difficile de ne pas être à la hauteur des baskets violettes.
Les courses ensuite vous les faites rapidement en évitant avec soin certains rayons. Dans le caddie : conserves, pâtes, yaourts, des œufs, des escalopes de dinde à consommer dès ce soir. Il papillonne en sifflotant, il te semble qu'il évite ton regard. Il porte seul un pack de six litres de lait, il t'aide à déposer les articles sur le tapis de caisse, c'est un enfant tellement adorable et tu lui as pris un paquet de céréales Crunch. Sur le chemin du retour, le crépuscule vous enveloppe de tristesse. Vous parcourez sans mot dire le chemin jusqu'à l'appartement, les bras chargés de courses.
Vous arrivez épuisés. Assis sur le canapé, vous grignotez devant la télé et, comme souvent, il s'endort sur tes genoux. Tu le portes jusqu'à sa chambre, le déshabille, l'embrasse, plie ses vêtements et dépose ses baskets éculées au pied du lit.
Par la fenêtre, dans la nuit, au bout des champs de terre nue scintille le centre commercial.
Tu ne parviens à t'endormir que très tard. Le lendemain, tes mains tremblent de fatigue et de trop de café.
En rentrant du snack-bar où tu es serveuse depuis que tu as quitté l'enfance, tu fais un détour par la galerie marchande et, tu voles les baskets violettes.
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