Lorsqu’elle
s’est couchée hier soir, elle ignorait qu’elle ne se réveillerait pas.
Si elle
avait su, elle aurait mis un peu d’ordre dans ses affaires, appelé ses parents
qui se morfondent tout l’hiver dans leur grande maison désolée de la Creuse, accordé
à son fils l’autorisation d’aller au cinéma, fini le repassage, envoyé un
message à son amie Fabienne pour l’assurer du plaisir qu’elle avait eu à passer
la journée en sa compagnie, elle aurait réglé pour sa fille les fastidieuses
formalités d’inscription pour ce stage en Australie, posté sa lettre de
démission rédigée depuis des lustres, fait l’amour avec Damien son mari,
débarrassé enfin l’étagère de ses vieux pulls mités, et mon Dieu, surtout,
détruit les lettres de Lorenz.
Car bien
sûr Damien va tomber dessus. Elles sont à peine cachées, réunies dans une
pochette sous une pile de papiers administratifs qu’il devra éplucher
pour la succession.
Pourquoi
les a-t-elle conservées ? Par négligence ou sentimentalisme. Par nostalgie.
De quoi ? D’un songe …
Lorenz. Un
coup de cœur, il y a douze ans. Une rencontre de hasard. Un échange de lettres
enflammées comme celui qu’auraient entretenu deux amants du siècle passé.
Mariés
tous les deux et heureux, lui à Cologne, elle à Bordeaux, leur relation n’avait
jamais été qu'une platonique chimère mais cette correspondance suggérait
exactement le contraire. Quelle idiote !