Trois soleils tordent le ciel d'hélices incandescentes. Pour cette messe polaire, les combats cessent. Les hommes s'inclinent et leurs armes tombent dans la neige.
Les Pôles recèlent de ces instants de pure féerie. Ils naissent du camaïeu de bleus d'un glacier fendu, de l'assemblage des nuages, de sastrugi à perte de vue sous une lumière oblique, de la moindre variation dans ce paysage uniforme. Hors de ces brefs épisodes enchanteurs, les Pôles figurent le néant par leur impitoyable dépouillement. Aucun apprêt ou fioriture n'adoucit ces étendues désespérantes. On dit que seul Dieu peut y trouver refuge à sa mesure. On prétend que l'essence de toutes choses y demeure, débarrassée des scories du monde et des masques de la vie même. On murmure aussi que celui qui survit en cet univers monocorde, passés l'effondrement premier et le renoncement qui le suit, connaît une forme d'extase. Quelque chose qui y ressemble se lit dans les éclats fiévreux des yeux des plus anciens combattants.
Il est possible cependant qu'il ne s'agisse là que de démence ou d’une chimère que les survivants s'inventent pour justifier les glaces jour après jour. Néanmoins, lorsque les Pôles sans imagination éclatent en accès de fantaisie, même les plus profanes concèdent qu'ils pénètrent dans une autre dimension, "divine" sûrement, par défaut de vocabulaire. Et les combattants s'immobilisent bouleversés par tant de beauté inattendue. Ils oublient la cruauté infinie des Pôles, sa main de métal, son souffle tranchant. Le temps d'une illumination, ses rigueurs infernales s'évanouissent. La grâce éloigne des hommes le froid qui les empale, la lumière acide qui les agenouille, la terreur qui les habite : celle de disparaître à l'orée du monde dans un craquement de glace ou une rafale de balles, celle de n'être déjà plus tout à fait vivant. La grâce ne dure qu’un instant et la féerie des Pôles toujours se volatilise. Chaque émerveillement dissimule le pire. Le déchaînement des éléments suit immanquablement.
Il est possible cependant qu'il ne s'agisse là que de démence ou d’une chimère que les survivants s'inventent pour justifier les glaces jour après jour. Néanmoins, lorsque les Pôles sans imagination éclatent en accès de fantaisie, même les plus profanes concèdent qu'ils pénètrent dans une autre dimension, "divine" sûrement, par défaut de vocabulaire. Et les combattants s'immobilisent bouleversés par tant de beauté inattendue. Ils oublient la cruauté infinie des Pôles, sa main de métal, son souffle tranchant. Le temps d'une illumination, ses rigueurs infernales s'évanouissent. La grâce éloigne des hommes le froid qui les empale, la lumière acide qui les agenouille, la terreur qui les habite : celle de disparaître à l'orée du monde dans un craquement de glace ou une rafale de balles, celle de n'être déjà plus tout à fait vivant. La grâce ne dure qu’un instant et la féerie des Pôles toujours se volatilise. Chaque émerveillement dissimule le pire. Le déchaînement des éléments suit immanquablement.
Trois soleils incendient la banquise. La marche des combattants s'arrête. Ils s'amusent un moment à deviner des trois quel est l'astre véritable et quelles en sont les réflexions dans les cristaux de glace soufflés par le vent montant. Brièvement ils rient. Sans bruit, ils secouent leurs épaules. Le campement doit être monté toutes affaires cessantes. Le blizzard fouette déjà les dos courbés, la sueur sur les visages aussitôt brûle et se change en pellicule de glace. Les soleils se désintègrent en paillettes de givre. Il suffit de quelques heures pour que de gigantesques congères se forment contre les engins chenillés. À l'abri, les combattants attendent. Cela peut durer une heure ou une semaine. La force du vent est titanesque. Son hurlement fait croire à une mort ou à une naissance. Ils se taisent, ils ne bougent pas. Toute volonté serait vanité.
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