En fin d’après-midi, Maurice allume le feu. C’est toujours lui qui s’en charge et il ne viendrait à l’idée de personne de lui contester ce privilège.
Aux premières volutes de fumée, épaisses et tortueuses, qui s’élèvent dans le ciel cinglant, on se précipite en ayant l’air surtout de ne pas se presser, d’arriver presque par hasard pour une visite amicale. En vérité, nous sommes prêts pour ce rendez-vous depuis au moins une heure, parfois même depuis le matin, et s’il en manquait un, on s’inquièterait. On laisse d'abord arriver Vince, le fils spirituel du maître des lieux, puis en désordre viennent prendre place autour du feu, Jeannot, le Prof, Max, Dina, Ali, Claude, Jeff et moi.
On se salue avec effusion comme si on ne s’était pas croisés depuis longtemps. On prend des nouvelles. On essaye de ne pas arriver les mains vides, qui avec des cigarettes, qui avec un paquet de gâteaux, et une ou deux bouteilles bien sûr.
On tend les mains vers les flammes jaunes et vives, on se sourit. Le froid est si piquant ces jours-ci que lorsqu’on approche nos doigts tout engourdis le feu fait presque mal. On débouche le vin et on en prend de grandes rasades qui diffusent de la chaleur à l’intérieur. On parle du temps qu’il fait, des gens pressés dans les rues, calfeutrés chez eux, de l’amitié qui fait chaud au cœur, de quelqu’un ou de quelqu’une plus loin, dans une autre ville, à qui il serait arrivé quelque chose qu’on commente avec délice comme on sucerait un berlingot. On regarde le feu, religieusement, avec respect et reconnaissance. On se souvient d’autres feux, des grandioses de la fête de la Saint-Jean, des odorants dans la grande cheminée où grillent les châtaignes, des ronronnants dans les poêles en fonte des grands-mères.
On tend les mains vers les flammes jaunes et vives, on se sourit. Le froid est si piquant ces jours-ci que lorsqu’on approche nos doigts tout engourdis le feu fait presque mal. On débouche le vin et on en prend de grandes rasades qui diffusent de la chaleur à l’intérieur. On parle du temps qu’il fait, des gens pressés dans les rues, calfeutrés chez eux, de l’amitié qui fait chaud au cœur, de quelqu’un ou de quelqu’une plus loin, dans une autre ville, à qui il serait arrivé quelque chose qu’on commente avec délice comme on sucerait un berlingot. On regarde le feu, religieusement, avec respect et reconnaissance. On se souvient d’autres feux, des grandioses de la fête de la Saint-Jean, des odorants dans la grande cheminée où grillent les châtaignes, des ronronnants dans les poêles en fonte des grands-mères.
A la lueur des flammes, Dina a les yeux qui brillent et ses pommettes hautes se colorent de mordoré. Elle a dû être autrefois d’une beauté bouleversante. Maurice qui la connaît depuis toujours s’en souvient. Ce n’était pas juste une fille jolie ou bien faite, non elle avait quelque chose qui vous remue tout au fond. Une beauté chaude et mystérieuse de princesse Inca. Aujourd’hui encore, si les circonstances s’y prêtaient, ce serait une sacrée belle femme. J’essaye de ne pas la fixer trop longtemps, elle n’aime pas ça, ça l’inquiète et la blesse, et quand elle est blessée…
Le feu chante doucement. De temps en temps, il se met à brailler comme un soulard puis râle, craque, pète tout à son aise, et vous gratifie d’une brusque fumée noire qui fait tousser. Il faut dire que Maurice se montre peu exigeant en matière de combustibles et met parfois un peu n’importe quoi dans les flammes. On finit la bouteille, on ouvre l’autre. C’est le meilleur moment de la journée. On se serre les uns contre les autres pour faire de la place au retardataire, à Claude qui vient d’un autre quartier. On parle de plus en plus fort pour tenir à distance cette petite boule d’angoisse qui vient toujours avec le soir. Si l’on pouvait aussi éloigner la nuit de nous ! Pour toujours. Être déjà à demain matin. D’ailleurs Jeff a une histoire drôle à ce sujet. Ah ! Oh ! On s’exclame comme un seul homme. Quand Jeff raconte une histoire drôle ce n’est jamais si hilarant que ça devrait, mais ça ne compte pas, ce qui compte c’est qu’il arrive à peine à parler tant il se marre et qu’on en rigole tous ensemble.
En moins de temps qu’il n’en faut pour l’histoire de Jeff, la nuit est tombée sur nous comme un seau de suif. On essaye de ne pas la regarder dans les yeux. On feint de ne pas avoir remarqué qu’elle s’est invitée autour du feu, on fait comme les enfants : même pas peur !
Dans le lointain, à la bise qui se lève tintent des stalactites de glace. On se tait, on tousse, on finit la deuxième bouteille, on se brûle les lèvres avec le filtre des cigarettes. Derrière le mur éboulé du terrain vague, il n’y a plus beaucoup de circulation sur la route. On écoute les petits bruits nocturnes et familiers qui résonnent dans le silence. On attend. On entend le feu qui siffle, hoquette, gémit, qui ne durera pas toute la nuit. On attend le passage des maraudes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire