Privée à jamais de l’amour de son bien-aimé, après
avoir épuisé son corps et son âme de toutes ses ressources de larmes, elle se
laissait dépérir et s’éteignait un ou deux ans plus tard, d’épuisement, de
désespoir, de faim impossible à rassasier, elle mourait.
Elle nous fait bien rire aujourd’hui et essayez même
de la prendre pour figure romanesque, votre ouvrage sera classé dans la
collection Historique.
La douleur est un archaïsme.
Le compagnon d’Hélène depuis plus de quinze ans, l’homme
de sa vie, le père de ses enfants, l’a quittée sans préavis ni autre forme de
procès. Je l’ai rarement vue aussi radieuse. Elle a été au bord du gouffre certes
mais c’est fini. Elle a passé les trois mois réglementaires où l’on est
autorisé à souffrir. Il faut maintenant tourner la page et aller de l’avant. C’est
ce qu’elle fait.Raphael est célibataire et chômeur longue durée, père de deux garçons impossibles. C’est un bon camarade, toujours partant, toujours content même si la vie n’est pas facile. Il revient d’une convocation chez le proviseur pour son aîné qui ne va plus en cours ou bien systématiquement défoncé. « Ah, les ados, j’te jure », me lance-t-il dans un éclat de rire.
Le père d’Anouchka n’en finit pas de mourir. C’est tous les jours maintenant qu’il faut se rendre au chevet de cet homme qui l’a élevée seul dans l’exil et l’adversité pour constater s’il est déjà mort ou encore vivant. Depuis le choc inouï de l’annonce de sa fin prochaine, Anouchka n’est ni perturbée ni angoissée, parfois un peu fatiguée à cause des contraintes que la situation impose. C’est la vie, ce n’est rien, pas grave en tout cas. « Et toi, ça va ? »
Effexor, Prozac, Tranxène… puisque la difficulté ne
doit être ni reconnue ni éprouvée, puisque les tristes et les inquiets sont des
ratés, et la belle qui meurt d’amour une pauvre dinde.
Moi, je vais… cahin-caha. Je suis un dinosaure. Rustique, à l’haleine chargée, au pas lent et aux articulations douloureuses, totalement
dépassé. J’en suis encore à interroger le ciel, pluie et soleil, miracles et
catastrophes m’affectent.
Souvent le matin, je me demande si la journée vaut vraiment
l’effort qu’il faudra fournir pour la porter, si ma vie a un sens, ce genre de
questions grossières et obsolètes.
Je pleure quand j’apprends une mauvaise nouvelle, je
dors mal quand on m’a mal traitée dans la journée, je n’ai pas envie de
sortir faire la fête quand la terre s’ouvre sous mes pieds.
Je suis un dinosaure. Je vis un crépuscule dont personne
ne veut entendre parler. Je n’ai probablement rien compris. Je crois encore que
le malheur n’est pas inconvenant et que les émotions ne sont pas qu’un
dérèglement chimique du cerveau.
Affligée d’endurance et d’espérance, je sillonne la
plaine aride à la recherche d’un point d’eau. Je croise parfois quelques autres
spécimens erratiques. De loin en loin. Bientôt plus âme qui vive… de ce côté-ci
de la planète.
Suis-je vraiment seule sous ces latitudes à souffrir
quand on me fait mal ?
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