Crépuscule
vert sur le périphérique. Lueur onirique, sirupeuse et amère. A ce
crépuscule-là que j’ai laissé derrière moi, l’âme en fête, je reviens le cœur en charpie.
Heureux
celui qui comme Ulysse …
Sur mes maigres
épaules tombe en pelures le manteau du désenchantement.
Crépuscule
vert comme nulle part ailleurs me reconnais-tu ?
J’ai fait
le tour du monde.
Je ne le
raconterai pas ou bien je l’inventerai.
Je
reviens m’échouer, bois flotté, à l’écume brune des entrepôts d’Aubervilliers, recraché
par la gueule d’un rêve étoilé à la Rimbaud. Tour du monde. Pont de Bagnolet, point
d’arrivée.
Pont de
Bagnolet. Ce n’est pas ce que je voulais. Éblouissements vert-de-gris dans les
miroirs des tours. Mains crispées, corps chaviré. Amarré à la rambarde. Happé
par la coulée automobile. De la tête au pied, tremblements. La ville crisse
sous mes dents et lime mes nerfs.
Me voilà
de retour. Une décennie plus tard, au point de départ. Aussi brisé qu’un soldat.
Dix-huit
ans pile, âge de conscrit, je suis parti. La vie était un beau voyage et je
comptais m’y tailler une place de choix à la mesure de ma faim.
Paris aujourd’hui.
Vingt-huit ans. Paris de nouveau. Après la boucle autour de la terre. Pour
toute gloire la connaissance des k.-o. et
le parfum de tous les caniveaux du monde.
Porte des
Lilas, il y a-t-il une place pour celui qui n’a pas fait fortune ? Tour de
la ville. Porte des Lilas, je ne connais plus personne. Plus un visage, plus un
rade, plus une cage d’ascenseur.
Grimper
quatre à quatre, héroïque, l’escalier délabré étroit comme un boyau vers la
tanière de l’enfance. M’man, ça y est j’suis rev’nu ! Merveilles
lointaines des mille et une aventures de ton fils par péniches entières
arrivent ! Bientôt. Remontent la Seine. M’man j’suis rev’nu !
Porte de
la Chapelle, plus d’escalier délabré, plus de studio pourri, ma mère a disparu
et l’enfance s’en est allée.
Je
reviens, toute espérance diluée dans le bocal trouble du monde. Je reviens avec
des appétits de vieillard : un lit, une assiette de rata, un petit boulot,
s’occuper pour arriver jusqu’à la fin sans trop dérouiller.
Crépuscule
vert comme ma défaite. Couleur de ma honte répandue sur la ville.
Demain,
je frappe à la porte de mon oncle, si elle existe encore et si elle s’ouvre. Un
coup de peigne, un coup de salive sur les genoux lustrés du pantalon. C’est
moi ! J’suis rev’nu !
Demain,
j’embauche au magasin de mon oncle si sa proposition tient encore. C’était de
la blague les horreurs que je t’ai dites, j’étais jeune. As-tu une place pour
moi ? Une place pas forcément belle, pas forcément grande. Chauffeur,
manutentionnaire, homme à tout faire.
Porte de
Clignancourt, ciel à l’agonie. Toujours le bol de soupe debout sur le trottoir
pour tous les traîne-misère. Cette fois-ci j’y goûte. Ciel de cul de bouteille.
L’aumône d’une rasade. Regarde au fond des yeux la grande solitude verte. La ville
me souffle son haleine croupie entre les côtes. Dans le reflet des vitres du
bus Atlas des sans-abri, ma silhouette marécageuse.
Crépuscule
vert sur le périphérique. Je ravale mes larmes et ma morve.
Porte de
Saint-Ouen, je me couche. Pas la force d’aller frapper à la porte ce soir.
Porte de
Saint-Ouen, la rumeur de la ville clapote. Je m’allonge sur la berge du
périphérique et tire sur moi la couverture du ciel. Froid et glauque. Vert qui se
marbre de noir, abyssal, et m’avale.
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