Accueillez
la vie avec le sourire, elle vous le rendra.
Je dois avoir l’air particulièrement sinistre
pour qu’elle me tende cette maxime par-dessus le zinc fatigué.
Je ne riposte pas et réponds à sa bonne humeur
matinale en me redressant le plus gaillardement possible sur mon tabouret de
bar.
Il ne sert à rien d’opposer à la généreuse
naïveté de Mireille mon cynisme. Je m’y suis essayé au début, me délectant même
de ce petit intermède en guise d’échauffement avant d’attaquer le désastre de
la journée.
Cela ne m’apportait qu’un fugitif ricanement dépourvu
de réel bénéfice et attristait Mireille sans la convaincre. Alors, à quoi
bon ?!
Mireille est agent d’entretien dans la
champignonnière d’immeubles de bureaux de La Défense, je suis cadre supérieur
dans l’un de ces prétentieux sièges d’entreprises.
Pour signaler à ma camarade de bistrot que
malgré ma mine peu engageante je suis disposé à entamer notre conversation
quotidienne, je lui fais remarquer que les jours rallongent et qu’une aube
presque rose – j’ose « l’aube rose » – nous salue à travers la vitre poussiéreuse.
Oui, ça fait du bien, on se sent plus
vaillant hein !?
Non, je ne me moque plus du contentement volontariste
de Mireille. Je ne la soupçonne plus d’être stupide au point d’éprouver de la
reconnaissance envers l’existence pour un mari odieux, un fils handicapé, un
appartement insalubre, d’interminables heures de ménage nocturne dans les
bureaux.... Elle n’est pas rancunière, c’est tout.
Espérer et positiver est une tournure d’esprit
tout à fait spontanée chez elle. Question de nature, de culture ou d’éducation, je suis moi un homme déprimé. Depuis toujours. Avec de
trompeuses mers d’huile et de dévastateurs raz-de-marée. C’est comme ça. J’ai
longtemps été sûr de mon pénétrant jugement sur le monde et la condition
humaine, du genre moi je sais et il n’y a
pas de quoi se fendre la poire. Cette conviction d’être dans le vrai contre
l’ignorance imbécile des autres a peut-être apporté un temps quelque onctuosité
à ma mélancolie.
Mireille, indéfectiblement radieuse et plus
finaude qu’il n’y paraît, a réussi à insinuer un doute dans mon esprit. Ce
doute n’a aucun effet positif notable sur mon existence. Il faut peut-être
encore un peu de patience.
Pour l’heure, et pour un malheur dont je suis
seul responsable, je n’ai pas encore le secours de cette foi insubmersible qui
l’habite. Je ne sais pas me réjouir d’une nuit de travail finalement moins
fatigante que prévu, des premiers abricots de la saison, du thé surprise pris
avec la voisine, de chaussures en plastique astucieusement sectionnées pour
libérer les orteils douloureux, de l’averse qui nourrit la terre et de l’éclaircie
qui réchauffe le cœur.
Mireille me sidère.
Tous les matins, vers 8h, depuis neuf ans, nous
sirotons nos cafés au comptoir du Metro. Elle bavarde, bavarde, je l’écoute et
me surprends à bavarder moi aussi. Pour prolonger ce moment, souvent je lui
offre un deuxième café.
Au début, nous nous regardions en chien de faïence.
Le costume sans doute : trois pièces pour moi et vieux jogging pour elle. Puis
à force de cafés pris silencieusement à quelques coudées l’un de l’autre,
d’échanges de banalités, ses pieds déchaussés et mes cernes neurasthéniques ont
pour ainsi dire sympathisé.
Tous les matins, à la même heure, je m’arrête
dans ce bar pmu qui ne paye pas de
mine pour m’encourager d’un petit noir.
Depuis un bon moment, c’est surtout pour elle
que je viens. Dix minutes, chaque jour aussi étonnantes, en compagnie de
Mireille qui tous les matins trouve un motif de rendre grâce à la vie.
J’ai les mêmes raisons de sourire qu’elle, de me
lamenter aucune qui tienne devant les siennes, je le sais. Mon indécrottable
noirceur me fait parfois désespérer. Pour chemin je trace un cercle, on voit
qu’avec moi, y’a encore du boulot.
Le week-end, le café au comptoir s’est mis à me
manquer et je voudrais que la vie soit une fable où je pourrais demander à
Mireille d’enseigner au cancre que je suis sa philosophie simplissime.
8 h 12, Mireille va rentrer à la maison pour une
brassée de tâches domestiques et quelques heures de sommeil, je vais me rendre
aux premières réunions de la journée. Bon
ben… glisse-t-elle de son tabouret. Ben
ouais, m’attardé-je.
8 h 15, la journée commence, je m’applique à
faire bonne figure – ensuite, le reste vient sans peine paraît-il - et je
prends soin de ne pas soupirer ni me frotter le front, ces poses de nanti
éreinté chagrinent Mireille et je ne veux pas chagriner Mireille, j’aime bien
Mireille.
Je tente un sourire, un rictus assez effrayant
que me renvoie le miroir piqué, mais, elle, elle voit que j’y mets du mien et
salue l’effort d’un lumineux A demain
Jean-Louis, bonne journée.
Merci,
vous aussi.
Oui, je me réjouis de ce rendez-vous quotidien…
peut-être bien que je progresse finalement.
A demain Mireille.
A demain Mireille.
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