Une pierre
de Rosette arrachée à ta retraite.
Au désert,
qu’as-tu vu ?
Il faut
se montrer plus radical, déclames-tu, et de projets d’ascèse, tu assommes ton
entourage. Tu décrètes qu’il est grand temps. De la saison des questions tu
sonnes le glas, place à l’illumination !
Dans ton
panthéon, bien sûr : le désert hagiographique. Et pourquoi pas toi ?
Chaperonné
par un aéropage de saints et de sages dont tu peux réciter les salutaires
paroles, te voilà enfin rendu aux les portes de l’infini.
Le désert
paraît conforme à sa légende, la pratique en est rude. Soleil implacable, roches
et sable ligués pour le pire, aussi exigeants que des postures yogi. C’est sûr,
le continent de la foi est ici.
Sous la
lumière tendue comme un arc, cèdent un à un les liens qui t’entravent. Que
vienne l’ultime détachement ! À moins qu’au désert, tu n’embrasses un
authentique attachement, à Dieu, à l’amour, à la fusion cosmique ou à autre
chose. Tu restes ouvert à toutes voies, chacun sa cartographie spirituelle.
Donc au
désert, qu’as-tu vu ?
De
l’étendue sans queue ni tête et de la durée à en perdre la notion, de la durée
au kilomètre et du silence, du silence, têtu, des paysage de pierres nues, de
la chaleur et du froid, tous les deux sans issue.
Les
heures, avec la chaleur et le froid et l’espace, en ronde tournent sans fin
autour de toi, t’exaltent et t’égarent ainsi qu’un vent de sable.
Les bras
ouverts, tu t’offres au vent et aux heures. Prêt pour un assèchement total de
soi. Aucun salut ne le couronnera mais tu l’ignores encore et dans
l’incertitude, tu accueilles l’épreuve comme une bénédiction. Mieux, tu la
provoques, au risque de trébucher sur ta volonté.
Le manque
de repos, d’eau, de nourriture, tant mieux ! Parfait ! Révélation,
illumination ! C’est le moment où jamais !
Tu mises beaucoup
sur la solitude à moins que quelques pèlerins plus chevronnés que toi n’apparaissent
pour te donner un coup de pouce.
Abruti de
fatigue et de silence, tu guettes sans répit. Les paupières écarquillées jour
et nuit, surtout la nuit. Car elle n’est pas ici comme ailleurs, ici quand elle
tombe le ciel tombe aussi et vous enveloppe ; les constellations et les
mystères, on peut les toucher. Serait-ce le sacré qui vient ?
Malgré
les promesses de patience que tu t’es faites, l’invective t’échappe : illumination,
illumination ! c’est le moment où jamais.
Demain je
m’en vais, menaces-tu.
Tu
plonges furieusement dans l’immensité du firmament mais l’immensité ne veut pas
de toi et refuse de t’engloutir. Tu flottes comme sur la mer Morte.
Et
finalement, ne récoltes que de pauvres visions, nées de la soif et de
l’épuisement.
Quelle
déception !
Au désert,
il n’y a rien.
Tu peux,
à défaut de rencontrer le Divin, espérer
te transformer en vent, en temps, si tu restes encore un peu, assez
longtemps.
Tu
attends.
Tu
attends.
Une
caravane passe – retraite ne vaut que si elle s’arrête -, tu la hèles.
L'heure
est venue de tirer la leçon. Abattu, tu ne t’avoues pas vaincu. Avec le recul,
tu comprendras sûrement ce que tu as sur le bout de l’esprit.
Dans ta
bouche, la blessure du soleil cru.
Un stigmate
à décrypter.
Au
désert, qu’as-tu gagné ?
D’une
expérience un peu ratée, la peau brûlée et des cors aux pieds. Tu aimes à t’en
amuser. Sans
doute aussi, comme du sable au fond d’une poche, un peu d’humilité.
Il est
possible que quelque chose t’ait quand même été enseigné qu’ils te pressent de
leur transmettre.
Au désert,
qu’as-tu vu ?
La soif
t’a fendu la langue et tu ne peux que pauvrement sourire sur ton âme toute nue.
Mais qui
la voit ?
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