60 minutes à avaler. 60 pilules amères.
Dehors, l’ombre pourpre des érables crisse comme de
la limaille.
Ça a commencé par un coup de poignard sous
l’omoplate. De petites répliques vicieuses ont suivi et ce quelque chose de
sourd, qui serre, qui serre.
Depuis, on attend et la peur s’épanouit comme un
nénuphar géant. On attend et on ne fait plus le malin à essayer de résoudre des
équations métaphysiques.
On se prend le pouls, on fait l’inventaire des signes
morbides. On a le souffle court, l’haleine chargée, des éblouissements, et ce
quelque chose qui serre, qui serre.
Dans 60 minutes maintenant, on en aura fini avec cette
frayeur verticale. A l’heure dite, en quelques mots irréfutables, on sera
précipité d’un côté ou de l’autre.
1, 2, 3, 4, 5…
égrener les secondes anesthésie l’attente.
On s’accroche à la corde des chiffres.
129 fois la lettre S dans cet article, 16 boutons à
la chemise sans oublier celui de secours cousu à l’étiquette, 6 personnes qui
attendent dans la salle, 7 il y a une minute et demie encore, soit 90 secondes.
Dehors bien sûr, tout est signe : les nuages qui
se gélifient et les oiseaux qui se taisent.
Dans le creux de notre main, reste 60 cristaux de
mercure.
60 minutes amères à avaler à sec.
C’est long 60 minutes alors que l’oxygène se raréfie dans la pièce. On suffoque, on pense à ceux qu’on aime. On ne s’étonne pas qu’ils soient finalement si peu nombreux mais de tant les aimer ; on en doutait encore il y a quelques jours. 60 minutes, 60 pilules amères à avaler. De quoi faire un beau suicide.
C’est long 60 minutes alors que l’oxygène se raréfie dans la pièce. On suffoque, on pense à ceux qu’on aime. On ne s’étonne pas qu’ils soient finalement si peu nombreux mais de tant les aimer ; on en doutait encore il y a quelques jours. 60 minutes, 60 pilules amères à avaler. De quoi faire un beau suicide.
Souvent on a pensé en finir, quelle ironie !
La catastrophe va-t-elle avoir lieu ? Dans 60
minutes, 42 maintenant, aura-t-on tout perdu ? Oh, comme on a à perdre
soudain !
Toutes ces chances qui faisaient notre vie et qu’on
regardait avec un ennui de souverain.
Toutes ces choses qu’on ne veut pas perdre et qu’on
repoussait hier d’une main négligente.
Quand la réponse arrive enfin, on est déjà à moitié
mort, vaincu par quelques minutes, 60 pilules amères.
Deux-trois mots suffisent à le dire : la
catastrophe est évitée.
On échappe au
pire.
On n’a rien perdu.
On reste du côté des vivants.
Ça fait presque rire cette grosse frayeur qu’on a
eue.
On sautille jusque chez soi, on s’émerveille. L’ombre
pourpre des érables fredonne. On se réjouit de ce passant qui nous bouscule, de
l’odeur de graillon de la rue des Halles, des premiers marrons chauds qui brûlent les
doigts. Oui, tout est toujours là, à portée de main, à portée de cœur, quel
bonheur !
On dit merci en pensée, au soleil derrière les
nuages, à nos morts, à Dieu, au hasard, à l’ange… Merci !
On va pouvoir continuer à vivre, à avaler chaque
minute bien consciencieusement. Avec délectation d’abord. Dans quelques jours,
quelques semaines si l’on est sage, avec indifférence ou dédain. On pourra recommencer à caresser l’idée d’une mort
libératrice en repoussant vers la corbeille d’une main négligente toutes ces
chances prodigieuses et désespérantes qui sont les nôtres. Quelle malheur !
On aura fini d’avoir peur de perdre la vie et l’on
pourra à recommencer à la traiter mal.
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