Grise
comme un ciel d’orage, une fièvre émerveillée.
La mer de
moire vieil argent.
Dans le
petit port, les coques fantomatiques des bateaux de plaisance agitent leurs
amarres aux reliquats de houle.
Il dépasse
leurs plaintes de fiancée délaissée et poursuit son pèlerinage quotidien vers
la mer, fidèle et farouche. Celle qu’il aime et dont il est le seul à goûter la
beauté nue.
Grise, profonde, un ciel d’orage étendu sur le sable.
Grise, profonde, un ciel d’orage étendu sur le sable.
Hors
saison, loin des impostures. La plage d’abord, en guise de préliminaires,
diaphane et pure après le fard des parasols et des serviettes aux couleurs racoleuses.
La mer enfin, rincée par les pluies de septembre, délivrée des voiles qui
s’accrochaient à ses flancs comme des breloques de foire, libérée des avances de
ceux qui croyaient la prendre par la taille d’un plongeon prétentieux.
La
station balnéaire comme la plage, la mer, est déserte. La promenade fouettée
par le vent, les maisons aux paupières closes, les portillons abandonnés qu’obstrue
la broussaille.
Sa
silhouette flotte dans ce monde dépeuplé comme une petite flamme hiératique.
Pas âme
qui vive. Du matin au soir. D’est en ouest. Parfois un animal errant, un marin
furtif qui rejoint son bateau, le vol d’un cormoran.
Au début,
quand il a décidé d’emménager définitivement ici, il a cru qu’elle allait le tuer
de solitude et d’ennui, l’ouvrir jusqu’à l’os d’une vague dentelée,
l’avaler de l’un de ces courants intérieurs qui vous noient dans cinquante centimètres d’eau.
l’avaler de l’un de ces courants intérieurs qui vous noient dans cinquante centimètres d’eau.
Face à la
mer, il pensait à tout ce qu’il n’aurait jamais, à tout ce qu’il avait perdu.
Au fil des ans, ces choses inaccessibles ou disparues se sont figées en un
paysage lointain qu’il peut maintenant sans émotion rappeler pour l’interroger comme
une vieille photographie.
Aujourd’hui,
face à la mer, il pense à ce qu’il a et cela lui paraît inestimable. Tous les
jours, il va vers elle, recueilli et joyeux. Modeste ermite sans dieu.
Seul, il
l’est aussi dans la petite villa rongée de sel, le jardin envahi par le sable,
dans ce quartier d’où s’est retirée la marée des hommes. Il sourit au matin
brumeux qui se glisse à travers les persiennes. Il entend au loin la mer, voluptueuse
et âpre. Pleine des remous de l’âme, de la vie, du temps qui passe, la mer qui
l’apaise
Il vit
dans cette maison de famille où dans le plus grand isolement est mort son
grand-père, sans informer personne du mal qui polluait son sang, et dont des
pêcheurs ont découvert le corps à cause de l’odeur dans cette même chambre où
il dort aujourd’hui ; cela pourrait l’effrayer, ça le protège.
De temps
en temps, pour quelques jours, des amis ou des parents viennent le voir. Ils
arrivent avec des rires, des paroles, du vin, des leçons sur l’existence et des
ennuis plein leurs valises. Leur visite le réjouit, leur départ le soulage.
Lui si
impatient et affamé jadis n’aurait jamais imaginé se combler un jour d’un salut
à la mer, d’un poisson juste pêché et mangé cru. Certains pensent qu’il a
renoncé, lui qu’il a trouvé. Oh, pas de grandes choses, ce n’est pas un saint
au désert, mais de petites choses infiniment douces et bonnes.
Il n’y
avait peut-être rien de plus à chercher, à attendre et, finalement, ce qu’il a
trouvé dépasse ses espérances.
Il est
face la mer.
Encore et
encore.
Il n’a
pas d’autre désir que de faire durer la plénitude de cet instant éternellement,
et si l’éternité n’existe pas, il espère partir dans un frisson pareil au
battement d’aile du goéland qui gagne le large.
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