Sans adieu commence ces jours-ci à tracer son chemin jusqu'à vous.
Le recueil est dès à présent disponible sur http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38558
Au fil des pages, sept nouvelles, sept histoires
de disparition…
4ème
de couverture
Quelque
50 000 personnes disparaissent tous les ans en France. La plupart
reviennent ou sont retrouvées dans les deux semaines… des autres, on ignore
tout.
Jean-Baptiste, Bianca, Sophie, François et les
autres sont un amant, une mère, une amie, un fils et de leur disparu ils ne
savent plus rien.
Partis sans explication ni adieu, ils condamnent
ceux qui restent à vivre un deuil impossible, enfermés dans une citadelle où
ricochent indéfiniment leurs questions sans réponse.
Le romanesque se régale volontiers du destin
facilement tragique ou flamboyant des disparus, pourtant Jean-Baptiste, Bianca,
Sophie, François et les autres ont une histoire, commune et unique, humble et
poignante, qui dit mieux que toute autre le roman de nos vies.
Extraits
Louise
entra dans sa vie et s’y installa sans la bousculer. Elle ne pesait pas plus
qu’un petit animal domestique. Si elle pouvait se montrer capable d’audaces
telles que celle qui l’avait poussée à aborder Jean-Baptiste dans le parc,
Louise adoptait d’ordinaire une attitude docile et discrète. Toujours soucieuse
de lui être agréable, elle le couvrait de mots doux et de tendres attentions.
Elle riait à toutes ses plaisanteries et tombait en pâmoison à la moindre
gentillesse de sa part. Elle parlait peu d’elle-même et l’interrogeait sans fin
sur les péripéties de son existence. Durant les cinq mois que dura leur
liaison, il se laissa bercer par l’adoration sans bornes qu’elle lui vouait
mais n’éprouva jamais pour elle de véritables sentiments amoureux. Tous les
soirs, elle frappait à sa porte. Il la laissait entrer. Elle le félicitait pour
sa bonne mine, lui offrait une bricole : disque ou friandises. Puis elle
astiquait l’appartement en attendant qu’il exprimât ses desideratas pour la
soirée. Pauvre fille, s’exclamait-il pour lui-même en la voyant récurer les
clayettes du réfrigérateur.
In Toutes les vies possibles
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Les
journaux relatent d’atroces découvertes : des corps d’enfants enveloppés dans
des sacs-poubelles sont jetés dans les fleuves, des corps d’enfants démembrés
sont retrouvés épars dans les forêts sous le pourrissement des feuilles, des
corps d’enfants suppliciés sont laissés à la pénombre des sous-sols.
Tous
les matins, l’enfant n’appelle pas. Tous les matins, il faut à Bianca endurer
le corps de Gaël en l’absence du corps de leur enfant. Les yeux clos, mimant le
sommeil que la nuit lui refuse, elle le devine qui se dirige vers la salle de
bains d’un pas traînant. Elle sait son corps puissant, son dos large dans
l’encadrement de la porte, légèrement voûté, avec cette crispation de la nuque
qui ne le quitte plus.
L’eau coule bruyamment dans le lavabo ; la radio annonce un temps froid et sec, des températures nettement en dessous de zéro. Les hivers sont doux par ici, seul février mord. De la salle de bains s’échappent des nuages de vapeur qui se transforment en fines pellicules de givre sur les vitres.
L’eau coule bruyamment dans le lavabo ; la radio annonce un temps froid et sec, des températures nettement en dessous de zéro. Les hivers sont doux par ici, seul février mord. De la salle de bains s’échappent des nuages de vapeur qui se transforment en fines pellicules de givre sur les vitres.
Il y a
un an, un jour de février mordant, ce jour-là où la vie s’est rayée, dans le
jardin glacé leur enfant avait fait ses premiers pas. Il venait de fêter son
premier anniversaire. Ils s’émerveillaient alors que cette vie eût à ce point
éveillé la leur à la joie. L’enfant c’est le meilleur entre eux qui a tourné au
pire.
In Tu n’oublieras pas
Maintenant, c’est l’heure ! Tout de suite alors
Sofia se leva. Elle dormait habillée sous les draps comme si chaque nuit avait
été jusque-là l’attente de cette nuit, de son signal. Au pied du lit, un petit
sac de toile contenait les quelques effets qu’elle souhaitait emporter. Pas
grand-chose. Pas grand-chose ne comptait à part lui. Elle le rejoignit sur le
palier obscur. Dans le noir, prononça son nom. Dehors, ils coururent en se
serrant la main. Leurs corps rapides ouvrirent une brèche dans la nuit. Ils s’y
engouffrèrent.
In La meilleure amie de Sofia
Aujourd’hui,
elle devait avoir cinquante ans maximum et sa beauté demeurait remarquable
malgré les cernes qui gâtaient un peu ses pommettes hautes, ses yeux en amande.
La cinquantaine pas plus, quarante-cinq ans peut-être. Les abandons sont
souvent le fait de jeunes filles qui n’auraient jamais dû être mères, et elle
n’avait sûrement pas échappé à la règle. Ça arrive comme ça, à certaines
filles, elles sont jeunes et elles deviennent grosses. Elle était
particulièrement jolie et elle avait, bien sûr, ce charme propre à toutes les
jeunes filles sans exception : une innocence, une cruauté, une bêtise de jeune
fille, une beauté équivoque de fillette avec des seins qui pointent sous le
tee-shirt, une beauté de pauvre cruche qui écrase son ventre sous sa jupe, qui
ne s’aperçoit pas avant le septième mois qu’elle est enceinte, parce que c’est
une chose impensable, et même une fois qu’elle le sait, elle ne le comprend
pas. Ça se passe souvent comme ça et l’enfant naît sans que personne ne le
sache, à peine elle-même.
Aujourd’hui, elle
devait avoir quarante-cinq cinquante ans, pas plus. Des femmes de cet âge, les
rues en étaient pleines. François les dévisageait. Elle était la boulangère
débonnaire derrière son comptoir, la passante pressée sous la pluie, la voisine
chagrine au manteau usé…
In Secret de caillou
Je
regagne ma place au salon où je m’assois du bout des fesses sur le canapé. Ils
prennent place autour de moi. La table est dressée pour l’apéritif. Je suis
l’idiote pour qui la représentation se donne. Une mise en scène scrupuleuse,
dont les ressorts m’échappent, préside à chaque détail. Je ne doute pas que
soient le fruit d’un calcul les vêtements qu’ils portent, l’assortiment des
crackers, la musique en fond sonore... Je crains à tout moment de faire ou dire
quelque chose d’inconvenant. J’aimerais que, pareils aux étrangers, ils me
regardent simplement et croient ce qu’ils voient. Mais toujours une certitude
précède leur regard. Ils arment leur mémoire contre les faits. Ils pressent
leurs souvenirs et en extraient un épais jus d’orties dont ils me badigeonnent.
Ils m’ont préparé une surprise. Mais d’abord, s’exclament-ils avec une gaieté
exagérée, trinquons ! Après le second verre, ils me présentent Oscar : mon
vieil ours en peluche.
Leur
mine solennelle me dissuade d’en rire. Avec mille précautions, ils me tendent
le jouet. Je m’en saisis et le pose gauchement sur mes genoux. Je souris et
triture ses oreilles pelées, en panne d’attitude adéquate. Oscar ne suscite pas
la brusque bouffée d’enfance escomptée. Je ne reconnais pas Oscar. Il faudrait
probablement que submergée d’émotion je le renifle, le lèche et me couche
dessus en babillant. Oscar aux pattes rapiécées, à la truffe râpée, me fixe de
son œil unique. Dans une coupelle sur la table, je prends une olive noire et la
lui pique à la place de l’organe manquant. Voilà : intervention réussie, pas de
rejet de la greffe. Aussitôt, je me rends compte que ma plaisanterie n’est pas
de très bon goût. Ils n’apprécient pas mon humour. Ils sont consternés.
In Mon
nom de folle
Elles
étaient féroces. Deux petites filles brutales en robes fleuries. La nuit
s’agaçait du grincement de leurs dents. Elles s’aiguisaient sans cesse l’une
contre l’autre. Il arriva malgré tout qu’elles utilisassent leur rage non plus
à se combattre mais à soumettre l’extérieur : lorsqu’on voulut leur retirer le
chat Gaspard ou qu’il fallut convaincre maman de la supériorité pédagogique des
colonies par rapport aux vacances familiales. Elles s’inventèrent même pour un
plaisir qu’elles ne s’avouaient pas des batailles, absurdes et acharnées -
faire espagnol première langue, porter des pantalons le jour de Noël-, qui les
maintinrent quelque temps dans une paix délicieuse où pouvaient s’épanouir des
jeux complices, des paroles affectueuses et des éclats de rire. Marie gardait
de ces rares moments la douceur un peu amère des belles choses bien ratées et
la certitude qu’elles aussi avaient caressé ce rêve de leur mère : deux sœurs.
Très vite, très sûrement, d’un mot cinglant qui transformait en piège tout
abandon, le rêve se rompait.
In Ce
rêve de leur mère
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