Elles
venaient enfants dans cette maison de famille. Les vacances au bord de la mer,
les châteaux de sable, le manège de Pierrot, le sel qui dessine des serpents
sur la peau et les veillées entre cousins. Elles sont venues adolescentes pour
les lampions au bord de la plage baignée de lune, les garçons sur la promenade
du phare, les premiers alcools clandestins avec les copains. Elles sont venues
étudiantes avec leurs folles espérances, leurs livres et leurs cours à réviser,
les soirées à refaire le monde. Elles sont venues avec leur mari pour le
soleil, le repos trop bref et bien mérité, les interminables repas avec les
amis, les cousins et leurs projets de pionniers. Elles sont venues avec leurs
enfants, c’était si pratique et amusant avec les petits ; on plantait des
tentes dans le jardin pour loger tout le monde : grands-parents, parents,
enfants, petits-enfants.
Avec le
temps, les plus âgés ont déserté la maison. Malades, fatigués, décédés. Elles
ont continué à venir, l’air était toujours aussi bon malgré les épreuves. Elles
sont venues sans les cousins à cause de fâcheries stupides et éphémères. L’année
suivante, ils étaient de nouveau là. Elles sont venues sans leur mari, trop
pris par leurs obligations professionnelles ou des aventures qu’elles faisaient
mine d’ignorer, mais avec les enfants toujours. Puis les maris sont revenus
avec elles et les plus grands des enfants ont volé de leurs propres ailes.
Les maris
maintenant sont morts et les enfants aux quatre coins du monde se moquent de la
petite maison de Cancale.
Les cousins ne viennent plus beaucoup, ni les amis d’antan. Lassés, fatigués, malades à leur tour.
Les cousins ne viennent plus beaucoup, ni les amis d’antan. Lassés, fatigués, malades à leur tour.
Elles
viennent tous les étés, toutes les deux, les deux sœurs. Elles s’assoient sur
le petit muret qui délimite la plage. Leur place. Depuis soixante-dix ans.
Elles
respirent l’air de la mer. Elles se sentent bien. Régénérées. Elles n’ont plus
mal au dos ni le blues du matin.
Elles se
taisent et regardent. Elles papotent et rigolent comme des gamines.
Elles ont
cinq, quinze, trente, quarante ans…c’est toujours pareil. La mer débordante de
possibles. L’écume scintillante. Le fluide vital qui court depuis l’horizon.
Elles ont
cinq, quinze, trente, soixante ans… la
mer sans âge annule le temps.
Tiens, regarde.
Cette année encore.
Elles
sont là, face à la mer, les deux sœurs.
Le vent forcit
et se charge de large. Elles se serrent l’une contre l’autre. Elles chuchotent.
Des larmes
de sel dessinent de petits serpents délicats sur leurs visages.
Entre leurs
doigts, elles font rouler de petits coquillages nacrés. Elles sourient.
Elles
respirent au rythme des vagues.
Elles font
des projets, encore, toujours, c’est la mer qui veut ça.
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