Tout de
suite, en roulant de sous la bâche du camion vers le lit caillouteux du chemin,
il a entendu l’étrangeté du paysage.
À demi-assommé
par sa chute, il a fixé un instant des yeux cet inframonde et distingué à la
pointe de la lune l’immensité du maillage sombre et dense des branches, soutenu
par d’innombrables colonnes rouges.
Rouges et
bourdonnantes.
Au matin
diaphane, le grondement de rivière souterraine de la subéraie s’est tu, étouffé
par la lumière et la rumeur d’invisibles animaux.
La forêt couvre les collines sur des kilomètres. Si cet éloignement le protège, la distance n’est rien comparée à la durée qui maintenant le sépare de son combat et des siens.
Il palpe,
scrute, renifle la terre, la trace d’un lièvre, les broussailles d’arbousier et
de myrte. À tâtons apprivoise l’inframonde où se tapir. Il est là pour
longtemps, des jours, des semaines, pour tout le temps qu’il faudra. Il restera
jusqu’à l’oubli, jusqu’au signal de la dernière bataille, à fourbir en silence
sa volonté et son arme, à maintenir droite et pure l’idée qui l’a menée là.
Baignés
des nuées argentées de l’aube, les écorchés.
Les longs
troncs à vif des chênes lièges, rouges.
Par-delà
leur armée en haillons, les villages phosphorescents halètent sous les guerres
fratricides.
D’abord,
trouver une source, aménager un refuge de fortune. Attendre. Composer avec sa
solitude et celle du paysage où seuls s’abritent les cigognes noires et les
lynx.
Personne ne
vit dans la subéraie ni même ne s’y aventure. Personne avant des mois, quand
ils reviendront, la hache sur l’épaule, pour lever liège. Alors il sortira de
son terrier de poussière et de pierraille, se mêlera à eux. Méconnaissable.
Chevelu, sale et muet, la langue morte dans sa bouche de n’avoir pas parlé de
plusieurs saisons. Il descendra avec eux dans la vallée, déposera au village sa
moisson d’écorce, comme l’un d’entre eux. Jusque-là, il ne saura rien des
combats et peut-être qu’il apprendra alors que l’ennemi a triomphé, a ruiné sa
maison, décimé ses camarades et séduit sa femme. L’idée qui l’a mené là lui
aura tout pris.
Peut-être,
mais il n’y pense pas. Ce n’est pas l’heure encore, il n’est qu’au premier jour
de sa clandestinité. Tout l’étonne et l’effraie et l’endurcit.
Du sud
semble venir le grésillement lointain d’un incendie que le rempart des chênes
lièges contiendra. Le vent se lève comme une houle et porte la mélopée des
troncs saignants. Ce n’est plus le bourdonnement nocturne mais une plainte qui
fait se cabrer le ciel.
Il
s’accroupit. S’adosse aux craquelures de l’écorce du jeune chêne qu’on n’a pas
encore démasclé. À ses pieds, son arme et quelques baies orangées. Il écoute. Il
attend.
Aux
battements de son cœur, à la faim qui monte, aux troncs rouges et lisses comme
un silex, il aiguise l’idée qui l’a mené là.
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