mardi 26 février 2013

La tristesse est soluble dans l'eau



La pluie nous attend à la fenêtre
Tombe sans discontinuer
Loyale et obstinée
On la salue d’un hochement de tête
Une petite pluie sans prétention
Fine et humble
Comme une caresse de brume
La promesse d’un ange
La pluie nous attend à la fenêtre
Clepsydre lente et sûre de nos convalescences
Par quoi le monde ruisselle et fait silence
À notre fenêtre une étreinte liquide
Une main fraîche sur le front
La pluie limpide et magnanime
Lave le ciel rapiécé, le cœur malmené 
Et les bourgeons de magnolias
Qu’elle lave, qu’elle lave !

mercredi 20 février 2013

L'année de nos treize ans


Deux d’entre nous lisaient en dépit de notre jeune âge et d’un milieu rural qui valorisait peu quand il ne l’ignorait pas totalement les activités culturelles et artistiques.
Dans les romans, nous dirent-ils, les personnages se donnent la mort.
Des amoureux malheureux, éconduits ou trahis, - plutôt des femmes - se noient, s’empoisonnent, se défenestrent (plus rarement), se laissent périr d’inanition.
On succombait donc d’autre chose que de vieillesse, de maladie ou de guerre.
Catastrophe infligée par le bras impitoyable du destin, la mort révélait un autre visage, celui d’un acte délibéré contre soi-même.  On pouvait décider de mourir.
Cette révélation nous saisit alors que nous bâtissions une cabane dans les bois.

vendredi 8 février 2013

Je suis seule pour toujours


Je fais des listes.
Des listes de courses, des listes d’idées, des listes de choses importantes ou dérisoires, de choses à faire, à ne pas oublier.
Ces listes encombrent mon bureau et mon agenda.

Au fur et à mesure de leur accomplissement, je raye de mes listes ces choses importantes ou dérisoires, à faire, à ne pas oublier.
Dans mon agenda, à la page de cette semaine, sur ma liste figurent : inscriptions Sorbonne Antonin, rendez-vous gynéco, musée quai Branly,  bilan EP Gentilly, remise chèques BNP, atelier lundi textes,… appeler Thierry, Florence, Laurence B,… appeler Philippe.
Philippe qui cherchait à me joindre, qui – je l’ai appris depuis – voulait partager avec moi son bonheur à la perspective de devenir, dans quelques mois, père pour la troisième fois.
Philippe est mort lundi.
Sur mon téléphone portable, le dernier message que je lui ai envoyé après être tombée sur sa messagerie : Te rappelle. Bises.
Daté du 2 février 2013.
Te rappelle.
A la page de cette semaine, ma liste énonce avec son ironie clinique ce qui était et brutalement n’est plus.
Philippe est mort.
J’ai rayé son nom sur ma liste.
Je ne l’écrirai plus jamais.
Je suis seule pour toujours.