mardi 21 décembre 2010

Quelques mois tout au plus, Les Amnésiens (3)

Elle connaîtra un moment de panique en quittant, pour la dernière fois, son lieu de travail. Elle se répétera c'est fini, en pensant ce n'est pas possible.

Dès le lendemain, la cruauté de sa situation lui apparaîtra et s'imposera avec une simplicité implacable. Elle restera toute la journée à boire du café assise près de la fenêtre devant l'immensité du temps dont elle n'a que faire. Le caractère durable, et peut-être définitif, de ce nouvel état lui donnera le vertige. Elle voudra se confier à ses amis et laissera sur des boîtes vocales des messages qui resteront sans réponse. Plus tard, dans la rue, des relations de longue date ou d'anciens amants ne la reconnaîtront pas et se dégageront vivement lorsqu'elle les attrapera pas le bras, d'ailleurs elle n'osera pas.
Cherchant un nouvel emploi, on la laissera plantée comme un objet encombrant face à une secrétaire dont le regard s'attardera sur le lacet effiloché de l'une de ses chaussures : "Non, monsieur le directeur ne peut pas vous recevoir, soupirera-t-elle, nous n'avons besoin de personne", appuyant ostensiblement sur un nous qui l'exclura sans retour.

mercredi 15 décembre 2010

Thé au citron

Toutes les choses importantes ont été dites autour d'une tasse de thé, chaque événement marquant en a été précédé, accompagné ou suivi.
Lorsqu'ils voulaient se parler, ils se préparaient du thé. L'eau frémissante dans la bouilloire donnait le signal. Elle le prenait avec une rondelle de citron que, tout au long de la conversation, elle écrasait avec sa cuillère pour en extraire le jus. Plus l'échange était pénible, plus elle maltraitait la rondelle de citron. Qu'elle finisse dépouillée de toute sa pulpe et sectionnée en plusieurs endroits, signifiait qu'il se tramait quelque chose de grave.
C'est ainsi qu'en interrogeant le fond d'une tasse, j'ai compris que cette fois-ci mes parents allaient vraiment se séparer.

lundi 13 décembre 2010

Sans titre 5

Il est fatigué. Il parle de fatigue à défaut de trouver de mot plus juste. Sa vie est pleine et accomplie et son cœur sonne creux.
Cet après-midi, il passe devant une petite église triste et grise et parce que l'un de ses rendez-vous a été annulé ou qu'il s'est mis brutalement à pleuvoir, il entre.
Il est aussitôt saisi par la densité du silence et de l'immobilité. Le temps ici ne s'enfuit pas, il s'installe et se cristallise en voûte de pierres sous laquelle s'abriter, en banc de bois pour se reposer. Alors puisqu'il a déjà échappé au cours de sa vie en entrant ici, il s'arrête dans une petite chapelle latérale. Il allume un lumignon sous un tableau de la Vierge. Il s'assoit et écoute simplement l'écho de la vie en lui. La lueur de la flamme réveille l'or du tableau. Elle se réfléchit dans la prunelle ardente de la Vierge, illumine son sourire immuable. Un sentiment de paix gonfle son cœur.
Il lui semble confusément reconnaître quelque chose, qu'il aurait connu enfant ou dans une vie parallèle à la sienne ou peut-être est-ce plutôt quelque chose à quoi il aspire depuis longtemps. Il reste jusqu'à ce que la flamme de la bougie s'éteigne.
Lorsqu'il sort, la nuit est tombée, il n'a rien fait de la journée et raté une réunion importante. Cela ne l'inquiète pas et comme la fatigue l'a quitté, il rentre à pied chez lui en flânant sur les quais.

mercredi 8 décembre 2010

Théorème de Pythagore et autres mystères

Robin a mis la chaîne des clips qu’il regarde, affalé sur le canapé, en proie à cette incommensurable fatigue qui terrasse les adolescents en pleine croissance. Pour se reconstituer, il fait un sort au paquet de chips maintenu sur ses genoux. Il n’a pas de devoirs. Gaspard essaye d’adopter la même attitude délibérément négligée. Plus petit, il n’arrive pas à caler ses baskets poussiéreuses sur la table basse mais lui non plus n’a pas de devoirs. Il faudrait que je vérifie. Il faudrait que je sévisse. Les enfants d’aujourd’hui n’ont-ils vraiment rien à faire après l’école ? Le théorème de Pythagore se forme-t-il spontanément dans leur esprit ?
Le scenario est bien rôdé. Offensé par mes soupçons, Robin me montrera son cahier de textes où il est écrit : voir la leçon. Et il l’aura vue. C’est-à-dire qu’il aura ouvert son cahier et parcouru la page. Il est demandé de voir pas d’apprendre par cœur ! Pour la forme, il rouvrira le cahier en question en continuant à regarder les clips, un peu plus avachi encore, trop fatigué pour pouvoir même battre la mesure. Ainsi mon autorité semblera respectée et il aura la paix. Je suis faible. Je ne pense qu’à être aimé de mes enfants, le devoir éducatif m’échappe totalement.

mercredi 24 novembre 2010

La mémoire n'aime pas les trous

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De notre enfance, il ne reste qu'une poignée de souvenirs.

Quid de la sensation de la première neige, des milliers d'heures de jeux, des jours d'ennui qui ont fécondé nos rêves, des lettres péniblement formées sur le papier quadrillé, des bons mots de cet arrière-grand père dont on nous attribue l'humour ?

Tout se passe comme si au fur et à mesure que nous nous construisions, pierre après pierre, se désagrégeaient les premières, fragilisant constamment l'édifice jusqu'à l'éboulement final.

De là viendrait, on le croit sans peine, le sentiment de notre vulnérabilité et une angoisse indéfectible, elle au moins.

D'éminents savants ont mené d'étonnantes expériences sur ces pierres manquantes. Notamment celle-ci qui consiste à montrer au cobaye plusieurs photos de son enfance dont l'une, prise lors d'une supposée halte au pont du Gard, est un montage.

Cette photographie d'abord n'évoque rien. Puis, autour d'elle, le cobaye commence à construire une histoire qui se présentera finalement comme une véritable résurgence.

Ainsi se souvient-il maintenant du voyage en DS, d'une dispute avec son frère, de la glace au chocolat qui fondait sous le soleil et de la vue du haut du pont sur la rivière asséchée.

Vertigineux, non?

Sans doute moins que le vide.

mardi 23 novembre 2010

Sans titre 4

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Où sont mes petits rasoirs à saigner les maladies de l'âme ?

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mercredi 17 novembre 2010

Cœur de fonte

Rends-moi beau
Rends-moi fort
Approche-moi de l'éternité
Danser
Espérer, s'épuiser
Corps de guimauve, cœur de fonte
Lourd, lourd,
Toujours la même histoire
Même les dieux en ont marre

mercredi 10 novembre 2010

La faim

Au milieu des labours, le centre commercial forme une figure géométrique complexe, d'un gris perlé délicat aux reflets métalliques. En fin d'après-midi, quand le ciel est dégagé, le soleil se multiplie sur ses nombreuses facettes ; alors, il rivalise sans effort avec l'astre lui-même. Vers lui convergent les habitants des villes voisines et même, de tout le département.
Une fois par semaine, tu te rends au centre commercial, tu pousses ton caddie à travers le quadrillage impeccable des allées de l'hypermarché où s'écoulent la douce rumeur des consommateurs conquis et la voix hypnotique des annonces promotionnelles. Parfois ton fils t'accompagne mais la plupart du temps tu le laisses à la garde d'une voisine. Tout ici suscite son envie et sa jeunesse lui interdit de comprendre la cruelle supériorité de la nécessité sur le désir. Tu déposes dans ton caddie des conserves de marque distributeur, des kilos de pâtes, des yaourts et, en fonction des offres des têtes de gondole, pour le plaisir, tu prends une tablette de chocolat aux noisettes, un lot de socquettes.

jeudi 28 octobre 2010

Dessine-moi une tête de mort






















Tandis que du côté de Saint-Marc (département de l'Artibonite, Haïti), des rigoles de merde serpentent entre les baraques, à Paris, on célèbre le petit prince d'origine haïtienne Basquiat, dont les toiles atteignent jusqu'à 14 millions de dollars pièce.

Têtes de mort, couronnes, jeux d'enfant, divinités vaudous, totems, flamme de la liberté, cris, crissements de pneus, collages, couleurs signés SAMO (Same Old Shit), des œuvres nerveuses sur carton, palissade, porte de frigo, tout ce qui me tombe sous la main, tableaux pas vraiment, art sûrement, peintures dont l'auteur dira qu'elles sont à 80% de la colère.

mardi 26 octobre 2010

Sans titre 3

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Ça se résume souvent à ça, la vie d'un homme : une fille qui habitait trois rues plus loin.

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vendredi 15 octobre 2010

La chambre aux armoires, Les Amnésiens (2)

     Elle est assise au centre d'un grand canapé de velours dans une pièce immense tapissée d'armoires lourdes et verrouillées. Elles forment malgré leur diversité un front uni et serré comme des sentinelles robustes au coude à coude. Leur alignement compose une haie compacte qui masque les fenêtres qu'on devine, par endroit, aux rais de lumière ténus qui filtrent entre elles.
     Quoiqu'elles soient toutes de bois ouvragé, chacune se distingue des autres par son aspect, sa taille et sa forme. Certaines, étroites et élancées, touchent le plafond pourtant haut, d'autres plus trapues n'en sont pas moins imposantes et sombres. Quelques-unes sont flanquées de serrures énormes auxquelles ne peut s'adapter aucune clef tenant dans la main d'un homme ; la plupart, en revanche, en semblent dépourvues et les yeux s'épuisent à chercher un orifice qui puisse en faire office au sein des entrelacs sculptés de décors floraux exubérants et de faces de gargouilles émergeant des larges battants.

mercredi 6 octobre 2010

Fils de mai

Au-dessus de son berceau, se penche une fée sous LSD. L'œil prophétique, elle lui annonce la bosse des maths, un sourire enjôleur et, un signe particulier que ses difficultés d'élocution floutent de mystère. Le signe particulier toujours tu garderas, le secret à l'âge d'homme tu lèveras !
Voilà matière à désorienter une vie et forger le caractère. Exprimé plus sobrement, il était né sans père.
"Tu as été conçu en plein mai 68", exhalait sa mère en allumant un joint sur le balcon.
Il accueillait chaque fois le couplet avec perplexité, comprenant mal le glissement sémantique du géniteur au contexte sociopolitique de la fécondation.
Il était fils de Révolution. Cela ne remplace pas un père, mais il berça ainsi sa tristesse : après tout, ce n'était pas si mal, c'était mieux que fils de rien ou fils de pute.
Il revisita l'information à l'adolescence avec fierté et même une pointe de vanité, se découvrant un penchant pour l'utopie, un germe de vocation pour les grandes causes : survie des baleines bleues, combat contre la torture dans les prisons argentines, alphabétisation de l'Afrique...

mardi 28 septembre 2010

Est-ce un rêve ? Un souvenir ? Les Amnésiens (1)


Violet épais. Assombri par sa densité même. Violet saturé, gagné par une obscurité au rythme pesant et régulier de dinosaures.
Voilà le sommeil des Amnésiens.
Violet lent, infiniment.
Au cœur d'une mer épaissie de pétrole, maintenu au fond des eaux sans toucher encore un sable improbable, on flotte, en apesanteur. Dans l'univers en expansion et au-dedans de soi, pareillement, violet sourd et aveugle. Le rythme cardiaque ralentit, chaque pulsation toujours plus éloignée de la précédente. La respiration devient imperceptible. La vie s'économise. Dans ce velours visqueux et pénétrant, aucun mouvement ne trouve son accomplissement. Des gestes d'une lenteur exaspérante naissent et, péniblement s'étirent tant ils sont empêchés. L'attention vaguement alertée par ces déplacements se lasse et s'en détourne. Le violet déjà s'est refermé sur eux. Point de sens à ces gestes rares du dormeur qui s'achèvent dans l'oubli de ce qui les a provoqués.




vendredi 10 septembre 2010

Misère honorable

On me commande un texte sur les lectures des lycéens d'aujourd'hui. Pour ne pas livrer un travail indigne, même sous un nom d'emprunt, je cherche, vérifie, croise les informations, écris, réécris, relis... et là, quelle mouche me pique ?! Est-ce à dire que ne me comble pas l'honneur qui m'est fait de pouvoir écrire ? J'effectue un bref calcul et j'arrive à 5,72 € de l'heure...
Je suis prête pour la délocalisation en Inde.

jeudi 29 juillet 2010

La vie à votre fenêtre


Le temps devient si long que ce n'est plus le temps.
L''instant, l'éternité confondus n'ont plus que la coquille vide de leur nom.
Et la vie pour vous est un carré de ciel.

En réalité, pas exactement un carré mais un triptyque composé de trois rectangles, les trois vantaux de la fenêtre sur lesquels se dessine un petit bout de ciel ou bien le ciel tout entier, car il suffit de croquer un morceau de pomme pour savoir le goût de la pomme. Le ciel à votre triptyque est d'un bleu uniforme, immuable et las. Parfois le déchire la trajectoire d'un avion d'où perle un sang mousseux et blanc. Toujours la même ligne, partant du dernier tiers du vantail droit vers l'angle supérieur du troisième. Lorsque le bleu monotone s'est ressoudé, vient l'heure du repas de midi, une omelette, une purée, quelque chose de facile à mâcher et à avaler. Plusieurs déchirures ensuite se succèdent, à intervalles réguliers, et dans la nuit un clignotement ténu, têtu.

mercredi 14 juillet 2010

C'est écrit

Les vérités nous arrivent de partout. Elles ont mille visages criant murmurant. Leur clameur nous rend fous. Il y a tellement de vérités qu'on ne sait plus à quel mensonge se vouer. Elles livrent les âmes et les peuples à ceci et à son contraire, à cela encore. Dans un monde illisible, elles écrivent et raturent nos destins. C'est l'histoire des grands massacres et des petits assassinats.
C'est l'histoire de cette femme qui tue son mari supposé infidèle. C'est écrit, explique-t-elle à la police devant le corps ensanglanté du malheureux. Sur la table de la cuisine, l'horoscope du jour : Amis gémeaux, amis volages, votre pouvoir de séduction fait des ravages. Une certaine personne n'y est pas insensible et votre vie pourrait bien prendre un nouveau départ.
Il a nié, mais je ne l'ai pas cru bien sûr, confie la femme d'un air entendu en ramassant le couteau puis le journal comme pièces à conviction, si j'avais dû gober tous les mensonges qui sortaient de sa bouche !

jeudi 8 juillet 2010

Sans titre 2

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Être, en soi, happé par des sables mouvants. Se réfugier, hors de soi, sur la terre ferme des autres, et se perdre.
Alors quoi ?

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lundi 28 juin 2010

Nous nous sommes tant ennuyés

Vers la fin de son existence, un homme normalement intelligent a réussi à comprendre deux trois choses qui lui auraient été fort utiles au commencement de sa vie.
"Choisis-toi une femme qui rit à tes blagues", professait mon grand-père. J'avais sept ans alors et je reniflais, accroupi dans un coin de la buanderie, après une nymphette pourvue de couettes, petite rousse à la beauté affolante et à l'âme non moins bouleversante - durant les cours de piano que nous prenions au conservatoire, elle pleurait en entendant du Schubert ! D'un pauvre sourire mouillé de morve, je remerciais mon grand-père de daigner m'instruire des Mystères et de soigner, dans la foulée, mes dents à coups de tablettes de Crunch mais franchement, je voyais mal le rapport entre l'amour et l'humour.
J'auréolais mon grand-père de nombreuses qualités, toutefois, pour la sagesse, il lui manquait trône, livre, voix de ténor, barbe et autres accessoires. C'était un homme bon mais terriblement ordinaire, qui occupait sa retraite à bricoler des moteurs de tondeuses à gazon et se promenait encore à son âge en tenant la main de grand-mère, ce que je trouvais affreusement gênant. Je me destinais pour ma part à de plus enivrantes aventures, moissonnant sur mon passage des créatures sublimes, de celles qui s'endorment à vos côtés, couchées dans les pages des magazines de cinéma. Bref, je n'écoutais pas et tournais les conseils de mon grand-père à la plaisanterie, car j'avais en matière d'humour un beau potentiel, que je confirmais plus tard par une solide réputation de joyeux drille.

mardi 22 juin 2010

Le nom que je porte, etc.


C’est une histoire simple, comme toutes les histoires compliquées. Je m’appelle Anna Mancini, c’est le nom que je porte. Et pourtant, ce n’est pas mon nom.

De glaise informe le golem prend vie à l’instant où le Créateur trace sur son front le mot Vérité et dépose dans sa bouche le secret de son nom ineffable.

Il fait froid. Les draps sentent la sueur et le désinfectant. Elle attend la délivrance. Elle ne dit rien, elle ne crie pas. À un moment, elle grogne comme un animal. C’est l’hiver, les ténèbres s’appesantissent. Il n’y pas de ciel. Le ventre de ma mère crache un alphabet dans le désordre.
Aïe, je fais, ça commence mal !

Tu t’appelles… Par un agencement singulier de lettres, comme une poussée de la main, on te jettera dans la vie. A, V, T, encore un T, un I et puis un N. Non, ce n'est pas ça. M, A, T, I, N. Matin. Non, ce n'est pas ça. Ça, c’est le nom du jour quand il se lève, ce n’est pas le tien.

Mon enfance est sourde. Le silence qui m’entoure est incontestable. Il m’empêche de comprendre ce que l'on me dit. Je n’entends que des bruits.
La voix de ma mère fait un bruit d’eau où se noient tous les mots.
Les rails, sous notre fenêtre, font le bruit du monde, et les clefs dans la serrure, celui qui m’en interdit les promesses.
Je commence à parler. Je demande : Pourquoi la fenêtre est-elle toujours fermée ? Je demande : Pourquoi les voix ne disent-elles quelque chose que lorsqu’elles chantent, les soirs de boisson ou d’église ? C’est la musique, m'éclaire-t-on. Je réclame le nom de mon père. Ai-je mal formulé ma requête ? On ne me répond pas.

Ah, ce nom-là ! C’est un nom très ancien, il vient de la montagne, il sent encore la neige et les destins muets comme des cailloux. Pour survivre, il a dû se mélanger à d’autres noms. Au fil du temps, il a perdu deux lettres et en a gagné une autre. C’est un nom secret, difficile à prononcer, aussi souffriras-tu que nous le taisions.

mercredi 16 juin 2010

Sommes-nous tous des golems ?

En retrouvant, dans un fatras de notes, un bout de texte abandonné tel un petit caillou dans lequel n'aurait pas shooté la semelle impitoyable de la relecture, je déterre des sédiments de ma mémoire le vif intérêt que j'avais éprouvé à la découverte du golem.
Obscure et inquiétante créature, vouée à un désespérant inachèvement, le golem capte et fascine par sa proximité avec nous. C'est ce mot, dans mes notes, inachèvement, et plus loin l'allusion à la toute-puissance du Verbe, qui ranime mon curiosité. Qui est le golem ?
Figure des origines, mystère de la création, le golem est matière informe, embryon, chrysalide, l'état d'Adam avant que Dieu ne lui insuffle la vie, Je n’étais qu’un golem et tes yeux m’ont vu Livre des Psaumes (139, 16)... Le terme golem signifie aussi, dans la tradition juive notamment, homme stupide, bon à rien, femme qui n'a pas encore enfanté, toute créature inachevée.
Sommes-nous tous des golems ?
Du golem aujourd'hui on sait surtout qu'il désigne cet être artificiel animée par quelque sorcellerie, forme générique si l'on veut de Frankenstein et consorts. On connaît le roman éponyme de Gustav Meyrink, précurseur de la littérature fantastique, ou le film de Paul Weneger, chef-d'œuvre du cinéma expressionniste allemand. On éprouve pour le personnage grossier du golem, figure romanesque simpliste et fable sur la création, une tendresse amusée.
Parfois, on en a appris un peu plus sur lui, si d'aventure en visitant Prague - qui lui doit, j'en suis sûre, sa magie mystérieuse et fantomatique - on l'a croisé au détour d'une ruelle sombre.

jeudi 3 juin 2010

La zizanie selon Louise
















La mort m'a ravi Louise Bourgeois, qui savait de moi des choses dont je ne dirai rien, mais il suffit pour s'en faire une idée de voir ses gigantesques araignées de bronze tendrement nommées maman, ses forêts de totems, l'intimité inquiétante de ses chambres pleines d'effroi et de merveilleux, et ses œufs, ses phallus, ses viscères et autres formes de bois, plâtre et latex, sculptures organiques dont on a l'impression qu'elles sentent, suintent et soupirent.
"Tout se concentre, confiait l'artiste, dans la nécessité de résister pied à pied contre ce monstre que j'appelle la zizanie, c'est-à-dire la terreur qui vient de l'enfance et qui n'exige pas moins de toute une vie, non pour la décrire mais pour l'exorciser..."

mercredi 26 mai 2010

Au bord de la mer

   À cet endroit reculé de la plage où le sable se mêle déjà à la terre, une croûte de sel recouvre le sol. Sous son poids, la fine pellicule se brise en minuscules échardes salées qui brûlent ses genoux et les paumes de ses mains. Il s'active derrière elle. Elle ne le voit pas, et c'est mieux ainsi. Elle voit la mer, ou plutôt, dans l'obscurité, la frise d'écume livide qui meurt à quelques mètres d'eux. Il est concentré, le bruit de sa respiration, à intervalles réguliers, est couvert par celui des vagues. Au loin, les lueurs des bateaux et leurs reflets à la surface de l'eau tremblent dans pénombre. Elle se demande combien de temps cela va durer. Elle se demande s'il y a quelque chose qu'elle devrait faire ou dire.
   Il s'appelle Chris. Elle ne sait pas s'il s'agit du diminutif de Christian ou de Christophe, elle ne s'en est pas inquiétée. Ils ne se reverront sans doute pas. Pour le souvenir qu'elle aura de lui, Chris suffira bien.

dimanche 23 mai 2010

Sans titre 1

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Le ciel, démesuré. L'horizon idem.
Moi à l'intérieur, le plus pleinement, le plus naturellement qui soit, en l'absence de toute conscience.
C'est un moment parfait, le temps n'y a pas cours.

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mardi 11 mai 2010

L'hypothèse des forêts






L'hypothèse des forêts est mon deuxième roman, paru en 2009 chez Delphine Montalant éditions. Il est disponible sur http://www.editions-delphine-montalant.com/







Quatrième de couverture

Il y a longtemps, il s'est produit quelque chose.
Tu préférerais ne pas en parler. Les saisons ont passé.
De l'enfance, tu ne voudrais garder que la forêt.
Tu te souviens. Tu es arrivée dans la grande maison au milieu des bois un peu avant les grandes vacances. C'est ton père qui vous avait conduites, tes sœurs et toi, chez tante Lucie. Il t'importait peu alors que ta garde soit confiée à cette tante inconnue plutôt qu'à ton père, à peine plus familier. C'était un été très chaud, très sec. Des feux partaient spontanément dans les champs et les consumaient jusqu'aux racines.
Vous étiez ensemble : Rose, Léonie, Hortense.
Tu avais confiance.
Tu ignorais encore que le passé résiste au feu et à la chance.

Extraits

Lorsqu’à l’approche de l’été les nuits devenaient douces et limpides, il arrivait que je dorme dans la forêt. Je guettais le début de l’aube, ce moment où l’on prend encore le jour qui vient pour un éclat de lune et je quittais la maison. Je m’enfonçais dans les bois et parcourais les sentiers obscurs en les flairant comme une bête.

dimanche 9 mai 2010

Durer jusque-là





Durer jusque-là est mon premier roman, paru en 2006 chez HB éditions. Le catalogue de cette maison a été repris depuis par Le mot fou éditions. "Durer jusque-là" est disponible sur http://motfou.over-blog.com/





Quatrième de couverture

Un monde inconnu, une atmosphère hostile, dangereuse, dont on comprend assez vite qu'elle est celle de notre monde après une catastrophe, ou une série de catastrophes pas très naturelles. Les guerres que l'on croyait reléguées pour toujours derrière l'écran de la télé se sont rapprochées et ont finalement ravagé "notre" pays. La narratrice s'abrite dans une cave, et nous allons suivre ses aventures dans le paysage dévasté, hanté par des bandes de sans-abri en guenilles et par de mystérieux "anéantisseurs". Ces péripéties sont entrecoupées par les souvenir d'"avant", enfance, puis éveil à la vie amoureuse de la narratrice.

mercredi 5 mai 2010

Le centenaire des cartes Michelin

Du bout du doigt, suivre la route 9, progresser à travers des paysages de pierraille que ponctuent parfois des oasis minuscules marquées par de délicates ellipses vert pâle, passer Amazraou, Tagounite, les derniers oueds, sentir la route partir en poussière, devenir piste puis disparaître, avalée par le désert où l'homme prudent ne s'aventure pas de crainte d'y rencontrer Dieu ou la mort.
Carte du Maroc, n°742.
Monsieur Michelin, géant du pneu et génial inventeur de la carcasse radiale, sait-il seulement qu'il fait rêver les petites filles?
Je me souviens de ces heures d'ennui merveilleux où, chevauchant les cartes routières subtilisées à mon père, je me lançais à bride abattue dans la rêverie. On avait pour mon vice une certaine complaisance, et durant les vacances, à l'arrière de la voiture, on me laissait déplier sur mes genoux écorchés la carte. Quel beau voyage ! Le doigt sur la départementale 788, je poursuivais mon inlassable quête, ma chimérique conquête, j'inventais avant même qu'ils n'apparaissent sous nos yeux, le calvaire qui domine la lande, le point de vue remarquable sur la vallée, le phare et son mélancolique gardien.