Et derrière le chemin s'est éboulé
lundi 25 mars 2013
mardi 19 mars 2013
Une occasion en or
Elle ne
sait plus quand ça a commencé.
Est-ce en
elle depuis toujours ou cela lui a-t-il été inoculé par accident ou
malveillance ? Qu’importe. Ce qui
compte c’est que c’est là. À chaque
instant de sa vie, elle espère sa mort.
Elle ne
voit pas d’autre solution au poids toujours plus lourd des jours, à son
incapacité à se réjouir, au cœur qui s’émiette, au sang douloureux qui s’obstine
et pulse comme dans une dent malade. Le matin au réveil, elle s’imagine le
pistolet sur la tempe, elle tire puis elle ouvre les yeux et il faut se lever
et entrer dans la journée. Elle traverse la rue sans regarder et le camion fou
fonce droit sur elle, elle succombe aussitôt. Au bureau, elle s’intoxique avec
le toner de l’imprimante et ne réchappe pas d’un coma foudroyant. Dans les
galeries marchandes souterraines, les cinq étages conçus par un architecte
incompétent s’écroulent sur elle. Elle étend la lessive sur le balcon et enjambe
la rambarde, les enfants jouent dans le square en contrebas, ils seront mieux
avec leur père.
Ce soir,
elle somnole dans le RER du retour. C’est l’heure de pointe. Les passagers
affluent, refluent, se bousculent. Le pistolet imaginaire sur sa tempe attend l’instant
propice. Elle somnole sur la banquette. À côté d’elle, contre un strapontin,
une valise sans propriétaire apparent. Les passagers affluent, refluent, se
bousculent. La valise reste à sa place. Elle pense à un acte terroriste. Une
occasion en or. La valise est à cinquante centimètres d’elle. Elle ne survivra
pas. Station Auber. Les passagers entrent et sortent et la valise est toujours
là. Si proche. Elle ne risque pas
d’agoniser durant des mois brûlée au troisième degré ou de végéter trente ans
paralysée de la tête au pied. Châtelet-Les Halles. Les passagers se déversent
sur le quai. Un nouveau contingent prend place, indifférent à la valise
abandonnée. C’est parfait. Elle n’aura même pas le temps d’entendre la
détonation. Mais Gare de Lyon sûrement, un voyageur s’en saisira.
En
station, on descend en masse, on monte en masse. La valise n’a pas bougé. Une occasion
en or.
Alors,
juste avant la fermeture des portes, elle se précipite sur le quai et se rue
vers l’escalier roulant. Elle ne veut pas mourir.
mercredi 13 mars 2013
Cette année encore
Elles
venaient enfants dans cette maison de famille. Les vacances au bord de la mer,
les châteaux de sable, le manège de Pierrot, le sel qui dessine des serpents
sur la peau et les veillées entre cousins. Elles sont venues adolescentes pour
les lampions au bord de la plage baignée de lune, les garçons sur la promenade
du phare, les premiers alcools clandestins avec les copains. Elles sont venues
étudiantes avec leurs folles espérances, leurs livres et leurs cours à réviser,
les soirées à refaire le monde. Elles sont venues avec leur mari pour le
soleil, le repos trop bref et bien mérité, les interminables repas avec les
amis, les cousins et leurs projets de pionniers. Elles sont venues avec leurs
enfants, c’était si pratique et amusant avec les petits ; on plantait des
tentes dans le jardin pour loger tout le monde : grands-parents, parents,
enfants, petits-enfants.
Avec le
temps, les plus âgés ont déserté la maison. Malades, fatigués, décédés. Elles
ont continué à venir, l’air était toujours aussi bon malgré les épreuves. Elles
sont venues sans les cousins à cause de fâcheries stupides et éphémères. L’année
suivante, ils étaient de nouveau là. Elles sont venues sans leur mari, trop
pris par leurs obligations professionnelles ou des aventures qu’elles faisaient
mine d’ignorer, mais avec les enfants toujours. Puis les maris sont revenus
avec elles et les plus grands des enfants ont volé de leurs propres ailes.
Les maris
maintenant sont morts et les enfants aux quatre coins du monde se moquent de la
petite maison de Cancale.
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