mardi 18 décembre 2012

Des habits pour tous les jours

Le rôle de celle dont l’humeur est toujours égale. Le rôle de celle qui écoute. Le rôle de celle qui anime de sa flamme mille projets. Le rôle de celle qui garde les secrets. Le rôle de celle qui rêve de Thébaïde. Le rôle de celle qui cuisine avec bonheur pour des tablées toujours plus grandes. Le rôle de la mère aimante et vigilante. Le rôle de celle qui aspire à autre chose sans savoir quoi. Le rôle de celle dont le sac s’assortit aux chaussures. Le rôle de la bonne copine. Le rôle de la précieuse collaboratrice. Le rôle de la femme qui dit « comme tu voudras ». Le rôle de celle qui se sent coupable de larmes versées sans autre épreuve que celle d’exister. Le rôle de l’insatisfaite. Le rôle de l’enthousiaste. Le rôle de la maîtresse qui n’a jamais la migraine.

mardi 4 décembre 2012

Sans adieu




Sans adieu commence ces jours-ci à tracer son chemin jusqu'à vous.
Le recueil est dès à présent disponible sur http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38558

 

 

 
 
 
 
 
 
Au fil des pages, sept nouvelles, sept histoires de disparition…
 
4ème de couverture
Quelque 50 000 personnes disparaissent tous les ans en France. La plupart reviennent ou sont retrouvées dans les deux semaines… des autres, on ignore tout.
Jean-Baptiste, Bianca, Sophie, François et les autres sont un amant, une mère, une amie, un fils et de leur disparu ils ne savent plus rien.
Partis sans explication ni adieu, ils condamnent ceux qui restent à vivre un deuil impossible, enfermés dans une citadelle où ricochent indéfiniment leurs questions sans réponse.
Le romanesque se régale volontiers du destin facilement tragique ou flamboyant des disparus, pourtant Jean-Baptiste, Bianca, Sophie, François et les autres ont une histoire, commune et unique, humble et poignante, qui dit mieux que toute autre le roman de nos vies.


Extraits
Louise entra dans sa vie et s’y installa sans la bousculer. Elle ne pesait pas plus qu’un petit animal domestique. Si elle pouvait se montrer capable d’audaces telles que celle qui l’avait poussée à aborder Jean-Baptiste dans le parc, Louise adoptait d’ordinaire une attitude docile et discrète. Toujours soucieuse de lui être agréable, elle le couvrait de mots doux et de tendres attentions. Elle riait à toutes ses plaisanteries et tombait en pâmoison à la moindre gentillesse de sa part. Elle parlait peu d’elle-même et l’interrogeait sans fin sur les péripéties de son existence. Durant les cinq mois que dura leur liaison, il se laissa bercer par l’adoration sans bornes qu’elle lui vouait mais n’éprouva jamais pour elle de véritables sentiments amoureux. Tous les soirs, elle frappait à sa porte. Il la laissait entrer. Elle le félicitait pour sa bonne mine, lui offrait une bricole : disque ou friandises. Puis elle astiquait l’appartement en attendant qu’il exprimât ses desideratas pour la soirée. Pauvre fille, s’exclamait-il pour lui-même en la voyant récurer les clayettes du réfrigérateur.
 
In Toutes les vies possibles

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Les journaux relatent d’atroces découvertes : des corps d’enfants enveloppés dans des sacs-poubelles sont jetés dans les fleuves, des corps d’enfants démembrés sont retrouvés épars dans les forêts sous le pourrissement des feuilles, des corps d’enfants suppliciés sont laissés à la pénombre des sous-sols.
Tous les matins, l’enfant n’appelle pas. Tous les matins, il faut à Bianca endurer le corps de Gaël en l’absence du corps de leur enfant. Les yeux clos, mimant le sommeil que la nuit lui refuse, elle le devine qui se dirige vers la salle de bains d’un pas traînant. Elle sait son corps puissant, son dos large dans l’encadrement de la porte, légèrement voûté, avec cette crispation de la nuque qui ne le quitte plus.

mercredi 28 novembre 2012

Ermite sans dieu


Grise comme un ciel d’orage, une fièvre émerveillée.
La mer de moire vieil argent.
Dans le petit port, les coques fantomatiques des bateaux de plaisance agitent leurs amarres aux reliquats de houle.
Il dépasse leurs plaintes de fiancée délaissée et poursuit son pèlerinage quotidien vers la mer, fidèle et farouche. Celle qu’il aime et dont il est le seul à goûter la beauté nue.
Grise, profonde, un ciel d’orage étendu sur le sable.
Hors saison, loin des impostures. La plage d’abord, en guise de préliminaires, diaphane et pure après le fard des parasols et des serviettes aux couleurs racoleuses. La mer enfin, rincée par les pluies de septembre, délivrée des voiles qui s’accrochaient à ses flancs comme des breloques de foire, libérée des avances de ceux qui croyaient la prendre par la taille d’un plongeon prétentieux.
La station balnéaire comme la plage, la mer, est déserte. La promenade fouettée par le vent, les maisons aux paupières closes, les portillons abandonnés qu’obstrue la broussaille.
Sa silhouette flotte dans ce monde dépeuplé comme une petite flamme hiératique.
Pas âme qui vive. Du matin au soir. D’est en ouest. Parfois un animal errant, un marin furtif qui rejoint son bateau, le vol d’un cormoran.
Au début, quand il a décidé d’emménager définitivement ici, il a cru qu’elle allait le tuer de solitude et d’ennui, l’ouvrir jusqu’à l’os d’une vague dentelée,

vendredi 16 novembre 2012

Une pie solennelle


Sur la table, la jacinthe en bourgeons refuse de fleurir.
Des engourdissements fulgurants paralysent mon genou gauche et m’obligent à remettre la plupart de mes engagements.
Mes conversations téléphoniques sont brutalement interrompues et durant quelques secondes, je me confie à un signal sonore.
Avec l’humidité, le bois de la porte d’entrée a tant gonflé que dedans je ne suis plus sûr de pouvoir sortir et dehors de pouvoir rentrer.
Une concrétion de nuages dessine une gueule à l’horizon, et grandissant d’heure en heure, menace de dévorer tout le ciel et plus encore.
Sur la branche dénudée du hêtre, une pie solennelle reste perchée et me regarde fixement.
Les signes s’accumulent.
Mais que me disent-ils ?

mardi 6 novembre 2012

Je veux rentrer chez moi


Vous riez.
Un entrefilet dans la presse se gausse de mon appel à la gendarmerie : un évadé qui demande à retourner en prison purger sa peine. C’est cocasse !
Vous riez.
Les gendarmes hilares sous la mine professionnelle m’ouvrent avec une solennité narquoise la portière du véhicule de fonction. Sur le chemin qui les a menés à moi, ils ont bien rigolé.
Force points d’exclamation. Alors celle-là, c’est la meilleure ! Vous riez.
Cela n’a pourtant rien de comique et je ne suis un cas isolé que par ma spontanéité.
Mes camarades, plus équivoques, louvoient et adoptent pour un résultat identique des stratégies sophistiquées : provocations et agressions intra-muros qui prolongent la peine, grossières récidives dès les premières semaines suivant la sortie. Croyez-vous vraiment que nous soyons à ce point idiots pour nous jeter sans intention, encore et encore, dans la gueule du loup. Nos injures et nos protestations quand les menottes enserrent à nouveau nos poignets, quand la lourde porte se referme, vous illusionnent sans doute. Êtes-vous idiots ?

mercredi 24 octobre 2012

Ma mère à sa fenêtre


Elle se réfugiait dans sa chambre et n’en ressortait que deux ou trois heures plus tard, en tout cas bien plus que le temps nécessaire à un changement de robe ou un brushing.
Maman qui ne se montrait jamais sans être impeccablement apprêtée, si aimable et présentable.
Maman avait des absences.
De temps en temps, et cette année-là, presque tous les jours.
Je jouais dans le grand couloir. Je guettais sans en avoir l’air et l’entrevoyais furtivement par l’embrasure de la porte. Immobile des heures durant, elle semblait regarder par la fenêtre. La valse hypnotique des nuages, le vol aigu des martinets, la lumière fantasque entre les branches des peupliers. L’illusion d’une paisible contemplation durait le temps d’un battement de cils. D’un battement de cils seulement car son attitude ne recelait rien de joyeux ou de méditatif. Je me détournais, effrayé par la fixité de son regard. Je repartais sur la pointe des pieds, chose inhabituelle pour l’enfant bruyant que j’étais. Je percevais sans rien y comprendre l’inquiétante étrangeté de ce tableau.

mardi 16 octobre 2012

Sans titre 10



Sun in an empty room - Edward Hopper




Méditation ou effroi, l’image est sourde, le silence palpable et je me suis diluée dedans.
L’absence enfermée dans la géométrie des murs tend sa psyché. Dans le vide palpite la lumière qui est l’œuvre et entre dans la toile, dans la pièce, dans mon crâne, la lumière à laquelle je cède et souris, j’ai cessé d’exister.
 

 

samedi 13 octobre 2012

Crépuscule vert sur le périphérique


Crépuscule vert sur le périphérique. Lueur onirique, sirupeuse et amère. A ce crépuscule-là que j’ai laissé derrière moi, l’âme en fête,  je reviens le cœur en charpie.
Heureux celui qui comme Ulysse …
Sur mes maigres épaules tombe en pelures le manteau du désenchantement.
Crépuscule vert comme nulle part ailleurs me reconnais-tu ?
J’ai fait le tour du monde.
Je ne le raconterai pas ou bien je l’inventerai.
Je reviens m’échouer, bois flotté, à l’écume brune des entrepôts d’Aubervilliers, recraché par la gueule d’un rêve étoilé à la Rimbaud. Tour du monde. Pont de Bagnolet, point d’arrivée.
Pont de Bagnolet. Ce n’est pas ce que je voulais. Éblouissements vert-de-gris dans les miroirs des tours. Mains crispées, corps chaviré. Amarré à la rambarde. Happé par la coulée automobile. De la tête au pied, tremblements. La ville crisse sous mes dents et lime mes nerfs.
Me voilà de retour. Une décennie plus tard, au point de départ. Aussi brisé qu’un soldat.
Dix-huit ans pile, âge de conscrit, je suis parti. La vie était un beau voyage et je comptais m’y tailler une place de choix à la mesure de ma faim.
Paris aujourd’hui. Vingt-huit ans. Paris de nouveau. Après la boucle autour de la terre. Pour toute gloire la connaissance des k.-o. et le parfum de tous les caniveaux du monde.
Porte des Lilas, il y a-t-il une place pour celui qui n’a pas fait fortune ? Tour de la ville. Porte des Lilas, je ne connais plus personne. Plus un visage, plus un rade, plus une cage d’ascenseur.

vendredi 28 septembre 2012

15 minutes d'entraînement par jour


Accueillez la vie avec le sourire, elle vous le rendra.
Je dois avoir l’air particulièrement sinistre pour qu’elle me tende cette maxime par-dessus le zinc fatigué.
Je ne riposte pas et réponds à sa bonne humeur matinale en me redressant le plus gaillardement possible sur mon tabouret de bar.
Il ne sert à rien d’opposer à la généreuse naïveté de Mireille mon cynisme. Je m’y suis essayé au début, me délectant même de ce petit intermède en guise d’échauffement avant d’attaquer le désastre de la journée.
Cela ne m’apportait qu’un fugitif ricanement dépourvu de réel bénéfice et attristait Mireille sans la convaincre. Alors, à quoi bon ?!
Mireille est agent d’entretien dans la champignonnière d’immeubles de bureaux de La Défense, je suis cadre supérieur dans l’un de ces prétentieux sièges d’entreprises.
Pour signaler à ma camarade de bistrot que malgré ma mine peu engageante je suis disposé à entamer notre conversation quotidienne, je lui fais remarquer que les jours rallongent et qu’une aube presque rose – j’ose « l’aube rose » – nous salue à travers la vitre poussiéreuse. Oui, ça fait du bien, on se sent plus vaillant hein !?

jeudi 20 septembre 2012

Calcinée


Comme les autres.
C’est sans doute de cette formule en creux dont on la qualifia le plus souvent au cours de son existence.
Elle s’était arrangée de ce jugement, s’y était abritée ou tout simplement reconnue.
A la première bouffée d’oxygène qui déchire les poumons, Alice déjà campait un nourrisson sans particularité. Comme les autres. Pas comme Gabriel qui était sacrement costaud, souviens-toi, ou Clara tellement éveillée et Paul si charmeur. 
Dès le premier cri, voilà, s’est inscrit : le cri est là mais c’est comme s’il ne voulait pas faire de bruit.
Ça commence tôt « comme les autres » puis ça vous colle à la peau et ça finit par vous ronger les os.
Mauvais sort, fatalité, implacable maillon de la spirale Adn, qu’y peut-on? Sans doute d’ailleurs n’est-il pas pertinent de vouloir y changer quelque chose. Pour mettre quoi à la place ?
Comme les autres. On peut y voir une légère déficience ou une chance, c’est selon, un handicap pour se hisser dans la communauté des hommes, un atout pour s‘y fondre.
Voilà la petite Alice. Une enfant sans problèmes, ni charmes ni défauts notables. Comme les autres. Quoique imperceptiblement en deçà. Si discrète, tellement réservée. Une petite fille passée à la gomme.
De ces enfants dont les institutrices oublient le nom, que rien ne distingue sur la photo de classe, qu’on ne remarque pas plus sur les bancs du catéchisme ou au sein de la tribu, nombreuse, des frères et sœurs.

mardi 11 septembre 2012

Une petite place dont vous tairez le nom


Il est 9 heures à peine.
Avec des tendresses de pastel, la lumière ambre les toits. Rien dans sa douceur ne laisse présager la cruauté verticale du soleil d’août.
Il est si tôt encore, et vous vous émerveillez du gris moelleux des pavés sous les rayons duveteux.
C’est l’instant où la place s’enchante. Intime et gorgée de promesses, elle ne se donne qu’à vous, d’ailleurs vous êtes seul à cette heure matinale. Mais même au plus fort de la journée, elle gardera ce petit côté villageois et ne sera traversée que par ces autochtones solitaires qui goûtent nonchalamment les lieux comme s’ils étaient un balcon à leur deux pièces.
Vous êtes assis à l’une des trois petites tables de l’unique café ouvert. Trois tables seulement car le patron n’a pas l’esprit mercantile, il ne lui viendrait pas l’idée d’exploiter les faveurs de l’été et trop de clients ne lui causerait que de l’embarras. Trois petites tables rondes seulement. Plus, de toute façon, gênerait la circulation des poussettes s’il s’en trouvait à passer.
Un client vient parfois occuper une table voisine de la vôtre. Vous vous adressez un salut discret de la tête. Quelqu’un du quartier selon toute vraisemblance, quelqu’un que vous avez dû croiser, côtoyer peut-être depuis longtemps, sans vous en apercevoir car le reste de l’année on n’a pas, vous le savez, la même figure ni le regard disponible pour remarquer la figure de quiconque.  
Vous ne faites rien, ou si peu de vos journées. Vous vous attachez à ne pas souiller votre bien-être d’ambitions futiles. La ville vous appartient toute entière depuis cette petite place nichée au creux d’humbles ruelles, et cela suffit.

mardi 26 juin 2012

Couleurs acides


Mon premier souvenir de mon père coïncide avec la découverte de son existence.
J’avais cinq ou six ans.
Je vivais dans une ignorance bienheureuse tout imbibé d’amour maternel.
J’étais un enfant vif et joyeux, content de vivre, comblé jusqu’à ce que j’apprenne qu’il me manquait quelque chose.
Ce jour-là, dans la boîte aux lettres, une étrange missive.
C’est une carte de ton papa. 
Jamais nous n’avions évoqué la question du père et je ne me souviens ni d’avoir été intrigué par l’absence dans mon environnement immédiat de cet élément pourtant fondateur ni d’en avoir souffert.
Dans un emballage de papier bulles, un carton rigide peint format A4, des couleurs comme un orage avec un fouillis de petits personnages qui planaient dans tous les sens comme des oiseaux migrateurs désorientés, çà et là des soleils miniatures réalisés à la feuille d’or et le mot papa, en bas à droite..
Waouh !!! Je courus me barricader dans ma chambre. J’y attendis le reste de la journée le déclin de l’onde de choc pendant que ma mère tambourinait à ma porte.
Les jours suivant ce séisme émotionnel, répliques et révélations confirmèrent l’invraisemblable. Je n’étais pas né comme je le croyais de ma mère et d’elle seule, éventuellement assistée d’une puissance supérieure, mais aussi d’un homme, un vrai homme, comme le papa de Martin ou celui de François, tu vois. Sauf que le mien était hors de ma portée, divinement beau, incroyablement intelligent, un être exceptionnel, un créateur comme les siècles en portent peu et dont le nom survivrait aux inévitables révolutions artistiques et aux invasions extra-terrestres. Waouh !!!
Jorge Wieller. Tu vois, il t’a donné son nom : Wieller. 
Le nom, l’écho de la renommée et plus tard, la palette de couleurs acides.

mercredi 20 juin 2012

Les dinosaures ont un petit coeur tout mou


Privée à jamais de l’amour de son bien-aimé, après avoir épuisé son corps et son âme de toutes ses ressources de larmes, elle se laissait dépérir et s’éteignait un ou deux ans plus tard, d’épuisement, de désespoir, de faim impossible à rassasier, elle mourait.
Elle nous fait bien rire aujourd’hui et essayez même de la prendre pour figure romanesque, votre ouvrage sera classé dans la collection Historique.
La douleur est un archaïsme.

vendredi 1 juin 2012

J'ai suivi dans la rue une femme dont le manteau m'était familier

Je me souviens avec une grande netteté des 24 heures qui ont précédé mon premier internement.
Aucune vérité embusquée, tout dans cet épisode se donne en pleine clarté.
A 3 h du matin, un mercredi, troisième jour d’une semaine au terme de laquelle se profilaient pour moi de cruciales échéances, alors que je peinais à achever un travail de traduction, je remarquai soudain l’alignement singulier des stylos… par trois. Un bref coup d’œil et je compris. Les post-it aussi et les photos de famille sur l’étagère, les rognures d’ongle dans le cendrier.
J’ai fait méticuleusement le tour de l’appartement, des placards… Ça se confirmait. Tout s’organisait par trois, par groupe de trois.
Ce prisme braqua enfin sur la réalité une lumière sans détour. Le monde, y compris l’invraisemblable fourbi de mes actes et de mes pensées, affichait enfin d’explicites contours. Ce quelque chose qui jusque là m’avait échappé, je le saisis cette nuit.
Illumination, révélation, délire, peu importe le nom dont on affuble cette expérience.
La limpidité avec laquelle les choses me sont alors apparues était à peine soutenable et ne me laissait aucune alternative.
Avec un calme qui ne m’était guère coutumier, je me suis levé de ma table de travail où j’étais revenu méditer et, sans hésitation, j’ai arraché l’ordinateur à ses branchements et l‘ai jeté par la fenêtre. Je suis descendu au rez-de-chaussée, à la boulangerie. C’est moi, ai-je annoncé à Gérard qui pétrissait avant l’ouverture. Il n’avait pas vidé la caisse de la veille, j’ai tout pris.
Je me suis rendu chez Héloïse. Je voulais lui annoncer notre rupture. J’ai frappé. Elle n’a pas répondu, probablement dormait-elle chez sa sœur à Viroflay. J’ai défoncé la porte avec l’extincteur. Elle comprendrait, je ne pouvais pas être plus clair.

jeudi 24 mai 2012

Sans regrets


Avec mon soleil fiché dans l’œil
Mon amour invincible et bien roulé
J’avançais, je profitais, je jouissais
Vade retro, fantassins de malheurs, armée hideuse
Avec mon soleil fiché dans l’œil
Eblouie de ténèbres radieuses
J’avançais, je brûlais, je riais
Avec mon soleil fiché dans l’œil
Bêtement,  dans la nuit j’ai chaviré
En pleine rigolade, par le destin fauché
Celui-là, le commun sans imagination
Pour les assombris, les illuminés
Pour mon amour invincible aussi
Nous voici
Cadavres d’étoiles dans le cercueil de l’infini

Avec mon soleil fiché dans l’œil
J’ai eu une belle vie

mardi 22 mai 2012

Indisponible pour le moment, je vous rappelerai dès que possible


J’ai regardé le téléphone sonner.  
Il pouvait bien pousser sa rengaine. Je n’avais envie de parler à personne.
J’avais décrété la journée dévolue à la lecture. Je n’avais même pas pris la peine de boire mon café quotidien au Central ni de me lever du canapé pour ramasser le courrier.
Par curiosité, j’ai malgré tout saisi l’appareil. Sur l’écran s’inscrivait un numéro non enregistré dans mon répertoire et dont l’agencement des chiffres ne me disait rien. Je l’ai reposé. J’ai essayé de reprendre ma lecture. J’étais distraite. J’attendais, …et il comprit comment d’un simple geste il aurait pu infléchir la fragile détermination de son frère. Ce matin encore… que le signal sonore m’annonce ou pas que mon correspondant inconnu m’avait laissé un message ou pas. Bip bip. Il m’en avait laissé un. Réflexe pavlovien, j’écoutais aussitôt. Peut-être que quelque chose était survenu, ou non, dans ma vie.

jeudi 10 mai 2012

60 pilules amères


60 minutes à avaler. 60 pilules amères.
Dehors, l’ombre pourpre des érables crisse comme de la limaille.
Ça a commencé par un coup de poignard sous l’omoplate. De petites répliques vicieuses ont suivi et ce quelque chose de sourd, qui serre, qui serre.
Depuis, on attend et la peur s’épanouit comme un nénuphar géant. On attend et on ne fait plus le malin à essayer de résoudre des équations métaphysiques.
On se prend le pouls, on fait l’inventaire des signes  morbides. On a le souffle court, l’haleine chargée, des éblouissements, et ce quelque chose qui serre, qui serre.
Dans 60 minutes maintenant, on en aura fini avec cette frayeur verticale. A l’heure dite, en quelques mots irréfutables, on sera précipité d’un côté ou de l’autre.
1, 2, 3, 4, 5…  égrener les secondes anesthésie l’attente.
On s’accroche à la corde des chiffres.
129 fois la lettre S dans cet article, 16 boutons à la chemise sans oublier celui de secours cousu à l’étiquette, 6 personnes qui attendent dans la salle, 7 il y a une minute et demie encore, soit 90 secondes.
Dehors bien sûr, tout est signe : les nuages qui se gélifient et les oiseaux qui se taisent.
Dans le creux de notre main, reste 60 cristaux de mercure.
60 minutes amères à avaler à sec.

jeudi 26 avril 2012

Nanosecondes d'éternité


La route crevait le paysage. Je m’étais trompée à un embranchement et ne cherchais pas à atteindre ma destination initiale. Je roulais. J’avais ouvert les vitres de la voiture malgré la fraîcheur. L’air entrait violemment et faisait pleurer mes yeux. A l’horizon miroitait la ligne de la forêt.  Je voulais juste m’enfoncer dans la campagne, faire le vide ou le plein.
Je laissai la voiture à l’orée du bois et poursuivis à pied, au hasard, sans but précis. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je n’avais pas marché dans une forêt depuis mes années de jeunesse. J’abordai le sentier comme le pont d’un gigantesque navire. Quelques bouquets d’arbres plus loin, les rives de mon monde commençaient de sombrer. Je pénétrais les mystères d’un autre, un entre ciel et terre d’écume verte, ombré, murmurant, de plus en plus profond.
Je perdis bientôt la notion du temps et des distances. On m’attendait ailleurs, personne ne me savait ici. Je ressentais une griserie d’enfant à cette promenade clandestine.
Après plusieurs heures de marche, toutes amarres rompues, je m’abandonnais totalement à la magie du lieu, à des années lumière de ma vie.
Les frondaisons très denses ne laissaient plus pénétrer que de rares phosphorescences à la précision aveuglante de lames. J’avançais sous cette canopée serrée qui formait comme une caverne de malachite tachée de fragments irréels d’outremer, lumineuse comme une nuit claire et pure, une promesse.
Je me trouvais dans un état singulier sans doute. Je ne m’explique pas autrement ce qui arriva.

mercredi 18 avril 2012

C'est probablement idiot, quoique..


Son cœur bat plus vite, plus fort, vraiment, et il a envie de rire et de traverser les océans d’une pétillante brasse papillon et le monde et ceux qui le peuplent sont absolument merveilleux, il ne s’en était pas aperçu jusque-là. Il est amoureux. Il est heureux.
Elle est assise juste à côté de lui. Tout chavire autour d’eux. C’est comme ça, comme dans les chansons. Il lui dit qu’elle l’enivre, que non il ne reprendra pas de vin, ça ne serait pas raisonnable. Elle rit. Elle aussi, elle doit être amoureuse et heureuse.
La vie vaut d’être vécue sans plus l’ombre d’un doute, voilà.
Dit comme ça, c’est stupide. Ce bonheur tout simple un peu niais, pensez-vous - pense-t-il aussi car il a de la hauteur de vues habituellement, il n’est pas idiot. Mais quand on le ressent ce bonheur-là, c’est bouleversant.
Un homme ne peut rien espérer de plus beau. En tout cas, c’est réellement très très haut dans l’échelle de la beauté.
Bref, Juliette l'a embrassé.

vendredi 6 avril 2012

De petits ruisseaux candides


L’univers de tante Lila s’étendait de la chambre exiguë et sombre du bout du couloir à la grande cuisine familiale toute carrelée de bleu lavande. Je l’ai toujours connue là, comme l’horloge comtoise près du piano et le chat Horus sur le rebord de la fenêtre.
Dans le vaste appartement hérité par mon père d’un grand-oncle célibataire et fortuné, elle consacrait son temps aux tâches ménagères. Elle vaquait jour après jour avec calme et discrétion, de la lessive au tricot, du repassage à l’épluchage de légumes. Elle ne franchissait le seuil que les mardis et vendredis matins pour se rendre au marché de la place de la République. Elle remplissait son caddie de produits frais destinés à la confection de nos repas, toujours délectables, de tartes de saison, de viandes mijotées ou de légumes farcis. Avant de regagner l’appartement, elle faisait une halte au Grand café Luz où elle sirotait un capuccino en terrasse, quel que soit le temps. C’était sa seule folie autant qu’on puisse la qualifier ainsi.
Je n’ai pas le souvenir - mais j’étais si jeune et les règles qui régissent la vie des adultes m’étaient inconnues - que quelqu’un l’ait empêchée de parcourir la ville, la région, le monde. Il semble que jamais elle n’ait aspiré à repousser les frontières de son minuscule univers. Je peux aussi bien me tromper. En réalité, nous ne savions rien des états d’âme, des espérances et des chagrins de cette femme effacée et j’ignore tout des raisons qui ont fait qu’elle vécut toute sa vie comme une domestique au service de notre famille.
Vers l’âge de huit ans, et jusqu’à mes dix ans, j’ai souffert de bronchites chroniques qui m’ont obligé à manquer régulièrement l’école. C’est lors de l’une de ces journées de repos forcé que pour la première fois, j’ai entendu ma tante chanter.

lundi 26 mars 2012

Encore une pétition


Tu comprends, dit-il sans achever sa phrase.
Et il nous regarda tous l’un après l’autre pour vérifier si quelqu’un avait l’air de comprendre quelque chose.
Visiblement non.
Accablé, il leva les yeux au ciel en jurant comme un charretier.
Et en toute honnêteté, non, je ne comprenais pas ce geste d’humeur très exagéré avec lequel il avait envoyé valdinguer la pétition et la factrice.

mardi 13 mars 2012

Les vivants doivent vivre leur vie


Le bruit, d’abord lointain et diffus, n’est pas menaçant. Il clapote dans un bain d’inconscience. Tiède, cosmique, aveugle. Petit claquement métallique à deux tons, il se glisse dans le tramage lâche de mon rêve et s’acoquine avec le bavardage des outils de l’atelier de mon père du temps où j'aspirais à devenir comme lui inventeur de robots domestiques. Puis, impatient d’exister, il se présente nommément à l’idiot ensuqué que je suis : claquement du portillon du square que les travailleurs coupent pour écourter leur trajet vers le métro et se jeter plus vite dans la journée. Le réel est là. Nom de Dieu ! Je suis réveillé ! Avec le clic-clac clairement identifié aussitôt ma vie me tombe dessus comme la lionne affamée sur le gnou malade. Stratégie du faible, je garde les yeux fermés, retenant les larmes qui me trahiraient. Le fatras de soucis que je croyais avoir bien rangé hier soir a quitté comme un seul homme les étagères de la buanderie et m’assaille de nouveau, jouant autour de moi à rebondir sur le matelas comme sur un trampoline. Un haut-le-cœur me vient à ce gruau d’insatisfactions, de rancœurs, de conflits larvés, de guerrettes de cent ans qui font l’ordinaire chaotique de notre course à tous, et je ne parle pas bien sûr de tout ce qui échappe au langage.
Je ne bouge pas, espérant tromper ma conscience par l’immobilité de mon corps. Qu’elle passe son chemin, je suis endormi ou mort. Le clic-clac du portillon à qui on ne la fait pas s’accélère, il doit être dans les 7 h 30. Les signaux du réel se multiplient, de plus en plus invasifs : fumet écœurant de café réchauffé, éclats de voix des premiers collégiens qui se hèlent sur le chemin de l’école, haleine tiède des volets clos sur le soleil d’été, radio des voisins, revue de presse entrecoupée de jingles publicitaires, et, clairon impitoyable, mon portable sur la table de la pièce voisine qui se remet à vibrer. Mon être se tétanise comme sous l’effet d’une crampe. Non ! Non ! Et tout ce qui échappe au langage profite de ma couardise pour me passer au hachoir. Avant qu’il ne soit trop tard, ma main tel un petit soldat en déroute parvient à s’emparer du tube de somnifères.
Quelques poignées de minutes encore et, dans une immobilité de moins en moins contrainte, je dériverai à nouveau dans le grand bain cosmique et aveugle. Endormi ou mort, peu importe. La radio des voisins a été coupée. Il doit être 8 h 30. Je ne vivrai pas ma vie aujourd’hui.

jeudi 8 mars 2012

Sans titre 9

Une poignée de sable
Ma vie
Et l’on voudrait que j’en bâtisse des cathédrales
Soyons sérieux
Bientôt il n’en restera rien

mercredi 29 février 2012

Je suis un salaud


Par courtoisie je lui proposai de rester dormir, la correction eut voulu qu’il fît au moins mine de ne pas vouloir déranger. Il passa outre et déplia aussitôt le canapé en se désolant que le matelas en fût si fin.
Ses sanglots m’empêchèrent d’abord de m’endormir puis il me réveilla vers cinq heures du matin en venant s’asseoir sur le bord de mon lit pour parler. Je lui coupai la parole vers sept heures, il était temps que j’aille travailler. Par la fenêtre, il m’adressa un pitoyable salut. Son visage était décomposé. J’entrai en hâte dans la bouche du métro.
Les premiers jours, je n’osai pas aborder la question de son futur logement. Il avait du mal à marcher et souffrait beaucoup des lésions de son accident de l’an passé. Mon appartement plein nord n’arrangeait rien ; il me demanda de lancer des travaux d’isolation. Le sort l’accablait, on le plaignait et on me suggéra de lui laisser ma chambre plus confortable et mieux chauffée. Un silence réprobateur suivit mon refus.
Une bonne semaine plus tard, alors que je ramenai à la maison une pile de journaux d’annonces immobilières, l’un de nos amis communs s’indigna du peu de tact dont je faisais preuve face à la détresse d’un homme qui, en plus d’être physiquement diminué, avait perdu son emploi et s’était fait mettre à la porte par sa femme pour infidélité chronique. Il est à la dérive, renchérit un autre, laisse-lui au moins un peu de temps.

mercredi 15 février 2012

Trois soleils..., Les Amnésiens (6)


Trois soleils tordent le ciel d'hélices incandescentes. Pour cette messe polaire, les combats cessent. Les hommes s'inclinent et leurs armes tombent dans la neige.
Les Pôles recèlent de ces instants de pure féerie. Ils naissent du camaïeu de bleus d'un glacier fendu, de l'assemblage des nuages, de sastrugi à perte de vue sous une lumière oblique, de la moindre variation dans ce paysage uniforme. Hors de ces brefs épisodes enchanteurs, les Pôles figurent le néant par leur impitoyable dépouillement. Aucun apprêt ou fioriture n'adoucit ces étendues désespérantes. On dit que seul Dieu peut y trouver refuge à sa mesure. On prétend que l'essence de toutes choses y demeure, débarrassée des scories du monde et des masques de la vie même. On murmure aussi que celui qui survit en cet univers monocorde, passés l'effondrement premier et le renoncement qui le suit, connaît une forme d'extase. Quelque chose qui y ressemble se lit dans les éclats fiévreux des yeux des plus anciens combattants.

mercredi 8 février 2012

Au coin du feu

En fin d’après-midi, Maurice allume le feu. C’est toujours lui qui s’en charge et il ne viendrait à l’idée de personne de lui contester ce privilège.
Aux premières volutes de fumée, épaisses et tortueuses, qui s’élèvent dans le ciel cinglant, on se précipite en ayant l’air surtout de ne pas se presser, d’arriver presque par hasard pour une visite amicale. En vérité, nous sommes prêts pour ce rendez-vous depuis au moins une heure, parfois même depuis le matin, et s’il en manquait un, on s’inquièterait. On laisse d'abord arriver Vince, le fils spirituel du maître des lieux, puis en désordre viennent prendre place autour du feu, Jeannot, le Prof, Max, Dina, Ali, Claude, Jeff et moi.
On se salue avec effusion comme si on ne s’était pas croisés depuis longtemps. On prend des nouvelles. On essaye de ne pas arriver les mains vides, qui avec des cigarettes, qui avec un paquet de gâteaux, et une ou deux bouteilles bien sûr.

mardi 31 janvier 2012

Un bracelet

«Anisia pourra faire du surf tous les jours… »
Elle avait de plus en plus souvent l’impression que Mathias parlait de quelqu’un d’autre qu’elle. Ce départ pour la côte Ouest des Etats-Unis où elle pourrait surfer, ouvrir un cabinet à son compte…, il le présentait comme son rêve à elle. Ils partaient dans deux mois. Les cartons vides envahissaient l’appartement. Elle ne voyait rien avec quoi elle aurait envie de les remplir. Elle se sentait aussi vide qu’eux.
Elle avait posé sa journée pour commencer à faire ce premier tri, toujours remis depuis des semaines. En réalité, elle ne faisait rien. Puis vers midi, il se produisit quelque chose. Un événement apparemment sans importance. Le passage du facteur avec son lot de factures et, cette fois-ci, une enveloppe sans expéditeur.
Prends garde aux objets, professait sa grand-mère, ils ont un pouvoir et une âme. Ils possèdent à l’instar des hommes l’extraordinaire et troublante faculté de se changer en fantôme, et c’est l’effet que lui fit le bracelet, celui d’une apparition surnaturelle.

mercredi 25 janvier 2012

Sans titre 8


des guitares des guitares des guitares
des étoiles des étoiles des étoiles
qui ricanent
plus jamais je n’embrasserai un musicien de passage

mercredi 11 janvier 2012

Nous sommes de grands chiens bleus


Vous noterez la fabrication artisanale de nos muselières, un tressage serré du cuir de nos propres veines. De la belle ouvrage !
Dans nos souvenirs, dans nos rêves…
Grand chien bleu sous la lune. Court. La proie si proche. Un coup de dent. Au-delà, la steppe noire et âpre de l’espérance. A perte de vue.
Enragé.
Dans nos souvenirs, dans nos rêves…
Sous nos fenêtres. Sur le trottoir. Grand chien jaune. Court après sa queue. Toujours si proche, jamais assez. C’est insensé. Jusqu’à l’épuisement.
Par nos fenêtres comme au spectacle, sous nos yeux le grand chien jaune tourne et, parfois, quand nous en avons le temps, nous pleurons.
Soyez sans crainte, ce n’est que du liquide, un peu de larmes et de bave, nous ne mordons pas.
Nos dents, derrière le tressage serré, aussi affamées et démentes que nous, nous dévorent l’intérieur.
Lundi effilochent le nerf crural, oh mais c’est affreux nous ne pouvons plus marcher, mardi étirent le caoutchouc d’un morceau d’intestin, aïe nous avons tellement mal au ventre, mercredi compriment entre deux molaires un bouquet de vaisseaux cérébraux, arrh nos têtes, des étaux, et nos pensées, toutes écrabouillées, jeudi, vendredi, samedi, furie retournée comme un gant, tout un catalogue de douleurs des plus rudimentaires aux plus sophistiquées, et dimanche…