mardi 28 septembre 2010

Est-ce un rêve ? Un souvenir ? Les Amnésiens (1)


Violet épais. Assombri par sa densité même. Violet saturé, gagné par une obscurité au rythme pesant et régulier de dinosaures.
Voilà le sommeil des Amnésiens.
Violet lent, infiniment.
Au cœur d'une mer épaissie de pétrole, maintenu au fond des eaux sans toucher encore un sable improbable, on flotte, en apesanteur. Dans l'univers en expansion et au-dedans de soi, pareillement, violet sourd et aveugle. Le rythme cardiaque ralentit, chaque pulsation toujours plus éloignée de la précédente. La respiration devient imperceptible. La vie s'économise. Dans ce velours visqueux et pénétrant, aucun mouvement ne trouve son accomplissement. Des gestes d'une lenteur exaspérante naissent et, péniblement s'étirent tant ils sont empêchés. L'attention vaguement alertée par ces déplacements se lasse et s'en détourne. Le violet déjà s'est refermé sur eux. Point de sens à ces gestes rares du dormeur qui s'achèvent dans l'oubli de ce qui les a provoqués.






Au sommeil succède la veille, l'apesanteur se change en pesanteur. Même la vivante lumière du jour ne parvient pas à trouer le violet intérieur. Le silence nous cerne, croyons-nous. Nous le couvons jalousement de peur qu'il ne nous quitte, nous livrant nus et vulnérables aux cris et aux chuchotements.
Les paupières se referment. Nul parfum ne s'aventure jusqu'à nous. Nulle sensation tactile ni vision ne viennent distraire du violet souverain. Aucun stimuli n'atteint le dormeur englué. Bénissons cette grande privation qui ne connaît même pas la terreur d'elle-même.
Pourtant... De temps à autre... Dans cette lave assoupie, d'un point indéfinissable, proche ou lointain, il semble que quelque chose, quelqu'un, quelqu'autre soi-même ait bougé dont on perçoit l'écho ondoyant, roulant comme une grosse bulle violette sur la peau. Et, cette fois, durant une fraction de seconde, attention ! une déchirure se produit, on perçoit : une couleur, des ombres, presque une image, une sensation de chaleur ou de froid. Le dormeur affolé croit reconnaître une odeur, sent quelque chose de râpeux sous les doigts, ou bien un tintement, un murmure libère son tympan obstrué, à moins qu'il ne distingue un visage. Est-ce un rêve ? Un souvenir ? Vif éclair qui agace nos nerfs. Ah ! que la mer obscure se referme à nouveau. Pour d'interminables saisons, de longues heures encore : violet lent, profond.
Voilà notre sommeil à nous, Amnésiens. Notre vie ensevelie.

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