mardi 22 mai 2012

Indisponible pour le moment, je vous rappelerai dès que possible


J’ai regardé le téléphone sonner.  
Il pouvait bien pousser sa rengaine. Je n’avais envie de parler à personne.
J’avais décrété la journée dévolue à la lecture. Je n’avais même pas pris la peine de boire mon café quotidien au Central ni de me lever du canapé pour ramasser le courrier.
Par curiosité, j’ai malgré tout saisi l’appareil. Sur l’écran s’inscrivait un numéro non enregistré dans mon répertoire et dont l’agencement des chiffres ne me disait rien. Je l’ai reposé. J’ai essayé de reprendre ma lecture. J’étais distraite. J’attendais, …et il comprit comment d’un simple geste il aurait pu infléchir la fragile détermination de son frère. Ce matin encore… que le signal sonore m’annonce ou pas que mon correspondant inconnu m’avait laissé un message ou pas. Bip bip. Il m’en avait laissé un. Réflexe pavlovien, j’écoutais aussitôt. Peut-être que quelque chose était survenu, ou non, dans ma vie.

C’était Malika. Malika Reza ! Je l’avais perdue de vue depuis au moins quinze ans. Et en vérité, je n’éprouvais aucune envie de la revoir. Pelotonnée dans mon plaid, je poussais un petit gloussement de soulagement. J’étais indisponible… Malika Reza ! Je me souvenais à quel point nos dernières rencontres avaient été contraintes et pénibles pour moi. C’était l’une de ces très bonnes copines de classe à qui curieusement une fois quitté la classe on a vraiment rien à dire mais dont on ne sait pas comment se débarrasser car elles ont, elles, visiblement beaucoup à confier et échanger. Oui, les derniers temps, j’esquivais, je déclinais les invitations, j’annulais les rendez-vous. J’étais déjà prise Zut, j’avais un boulot fou Flûte, j’étais grippée Crotte !
Elle avait fini par quitter la France, puis j’avais changé d’arrondissement et de numéro de téléphone. Je l’avais oubliée, avec elle entrepris d’enterrer les douloureuses incertitudes de cette époque de jeunesse et un incident dont elle avait été témoin et qu’il m’était cruel de me remémorer.
De sa voix toujours mielleuse où pointait un soupçon de condescendance, elle exprimait le grand bonheur qu’elle aurait à avoir de mes nouvelles. Elle était rentrée d’Oslo, de passage à Paris et avait trouvé mon numéro de portable via le filet des insupportables réseaux sociaux.
Je n’avais pas répondu. Aujourd’hui justement, je n’avais eu envie de parler à personne. Quelle heureuse disposition ! Si j’avais décroché…
Il suffit de pas grand-chose pour infléchir le cours d’une vie ou plus simplement vous saloper la journée.
Avant d’effacer son message, j’enregistrais par prudence son numéro dans mon répertoire pour pouvoir identifier son appel si elle se piquait d’insister.
Ce matin encore, le ciel sans présage et invariablement clair inquiétait les villageois les moins…
Oh merde, Malika Reza !

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