mardi 22 janvier 2013

Sang Véronèse


Vert menthe. Jade bleuté. Nuit de mon cœur.
Le temps s’est fracturé comme un os.
Par l’inconstance de la plus stupide des fiancées, je suis suspendu pour l’éternité.
Ciel vénérien sur la ville maudite. Eaux labyrinthiques où se mirent les courtisanes en haillons des anciens palais.
Mes yeux se remplissent de larmes.
Mes pieds nus sur le pavé glacé se couvrent de mousse.
Dans le canal, coule un sang Véronèse où tout se fige.
Et dans mes veines infuse la même absinthe pétrifiée.
Pauvre énamouré, le temps s’est fracturé comme un os.
Accroupi sur le quai, j’ai cessé d’espérer pour un amour que la marée a emporté d’un ressac dérisoire.
Reclus dans les bras gluants de l’abandon, j’appelle acqua alta, un plomb au cou. Acqua alta, viens jusqu’à moi. Qu’une mer immobile et froide s’abatte et me noie !
Obéissant à mes vœux, le monde se rétracte en une bille d’eau verte et dure.
… Jusqu’à ce qu’elle se brise… à l’instant où mes adieux les plus résolus achoppent à mes sens insoumis que continue d’électriser le moindre frémissement. Et tout s’obstine à frémir, palpiter, appeler…
Là, voici qu’un chapelet de bulles agite l’onde. Une brèche sombre, sinueuse et brève, affleure à la surface mentholée, meurt pour renaître plus loin, cernée de  dizaines de son espèce, ban de petits poissons noirs. Et par ici, n’est-ce pas le glissement lascif des gondoles, la clameur de cloches gigantesques. Et là, des effluves féminins sans cesse vous frôlent et vous étourdissent.
Que ne suis-je aveugle et sourd !
Toute une vie en expansion s’enroule autour de moi. Elle finira par avoir raison de ma mort.
À l’aube enjôleuse,  je me lèverai si le temps se ressoude pour moi, pauvre énamouré, sur une nouvelle fiancée stupide et miraculeuse.
Jade bleuté. Lueur, dans la nuit qui se retire encore une fois.
Jade bleuté plein de promesses. Venise traîtresse. 

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