mardi 9 juillet 2013

Scène domestique - No exit


Le dîner avait été insoutenable, comme d’habitude.
Sa mère faisait mine de refuser un verre de vin alors qu’elle en avait sifflé une bouteille entière dans l’après-midi, son père multipliait les allusions salaces à l’attention de sa belle-sœur, son petit frère avait piqué sa crise quotidienne, sa sœur aînée ne levait pas les yeux d’une assiette à laquelle elle ne toucherait pas. Le grand-père, invalide et mutique, cimentait le tout de son indiscutable et hautement toxique autorité.
Dehors, derrière la fenêtre close, l’univers ourdissait des brassées d’haletantes tragédies et de non moins électrisantes jouissances. Le ciel rougeoyait sur la ville et claquait comme un drapeau à la rumeur du train qui s’enfuit, aux basses hypnotiques en provenance du club d’en face, aux exclamations et trépidations des autres vivants, mieux adaptés aux conditions extérieures, à la vie elle-même.
Mieux adaptés que lui, qu’eux tous ici. Cette famille-là. grand-père-papa-maman-Lydie-Loriane-lui-Lucas, bougeant, parlant, ronflant en même temps, les uns suivant les mouvements des autres et vice versa, pareils à une molécule pourvue de sept atomes, un indissoluble tout-monde.
La cuisine était minuscule, à leur taille, moulée autour d’eux.