Le dîner
avait été insoutenable, comme d’habitude.
Sa mère
faisait mine de refuser un verre de vin alors qu’elle en avait sifflé une
bouteille entière dans l’après-midi, son père multipliait les allusions salaces
à l’attention de sa belle-sœur, son petit frère avait piqué sa crise
quotidienne, sa sœur aînée ne levait pas les yeux d’une assiette à laquelle
elle ne toucherait pas. Le grand-père, invalide et mutique, cimentait le tout
de son indiscutable et hautement toxique autorité.
Dehors,
derrière la fenêtre close, l’univers ourdissait des brassées d’haletantes
tragédies et de non moins électrisantes jouissances. Le ciel rougeoyait sur la
ville et claquait comme un drapeau à la rumeur du train qui s’enfuit, aux
basses hypnotiques en provenance du club d’en face, aux exclamations et
trépidations des autres vivants, mieux adaptés aux conditions extérieures, à la
vie elle-même.
Mieux
adaptés que lui, qu’eux tous ici. Cette famille-là. grand-père-papa-maman-Lydie-Loriane-lui-Lucas, bougeant, parlant,
ronflant en même temps, les uns suivant les mouvements des autres et vice
versa, pareils à une molécule pourvue de sept atomes, un indissoluble
tout-monde.
La
cuisine était minuscule, à leur taille, moulée autour d’eux.