jeudi 28 octobre 2010

Dessine-moi une tête de mort






















Tandis que du côté de Saint-Marc (département de l'Artibonite, Haïti), des rigoles de merde serpentent entre les baraques, à Paris, on célèbre le petit prince d'origine haïtienne Basquiat, dont les toiles atteignent jusqu'à 14 millions de dollars pièce.

Têtes de mort, couronnes, jeux d'enfant, divinités vaudous, totems, flamme de la liberté, cris, crissements de pneus, collages, couleurs signés SAMO (Same Old Shit), des œuvres nerveuses sur carton, palissade, porte de frigo, tout ce qui me tombe sous la main, tableaux pas vraiment, art sûrement, peintures dont l'auteur dira qu'elles sont à 80% de la colère.

La danse de Saint-Guy qui agite nos squelettes s'expose au MAM de Paris. À l'autre bout du monde, vibrio cholerae O1, les corps une fois de plus convulsent.

 Dessine-moi une tête de mort, pour ici, pour là-bas.


De l'autre côté du périphérique, je reçois en permanence d'écrivain public, Montéal L. vieil haïtien illettré dont l'épopée dantesque restera à jamais inédite. De deux lettres tremblées, il signe la demande de CMU que je viens de remplir pour lui. Un mot de la misère et des tontons macoutes qui l'ont, il y a longtemps déjà, arraché à sa terre, un autre plus fort pour rappeler qu'elle fut la première république indépendante noire, un soupir pour un frère et un neveu morts lors du tremblement de terre de janvier dernier, un autre plus long pour sa sœur emportée deux jours auparavant par l'épidémie de choléra.

C'est la volonté du Seigneur. Haïti est un beau pays.

Le dossier de CMU rangé dans son enveloppe, je sors du fatras de mon sac le catalogue de l'exposition Basquiat. Sa fille lui en a parlé, il est content de voir. Il feuillette lentement, hoche la tête, rigole, s'arrête sur une photo représentant l'artiste. "Il est mort de quoi ?" Overdose sonne comme une fatalité de plus. Il sourit, l'air de celui que rien n'étonne, surtout pas qu'on dessine la vie sous sa forme mortelle et qu'on en succombe.

Merci, madame. Dieu nous aime tous, me salue-t-il.

Reste sur la table, le catalogue ouvert sur des éclaboussures de couleurs primaires, pressées, incandescentes, tête de mort en filigrane, même pas méchante juste omniprésente. Je range mon bureau. C'est pas l'tout mais, la vie trépigne à l'étroit dans un bureau, à l'étroit dans un tableau, elle attend autre chose, quelque chose de plus, à la hauteur de sa fin, faut y 'aller !

Dans son atelier, Basquiat travaillait en musique, s'en fout la mort, s'en fout l'art, il n'y pensait pas en peignant, il essayait, disait-il, de penser à la vie.

À sa figure toute noire, à ses crachats multicolores. Same Old Shit.

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