mercredi 1 juin 2011

"Des trésors de bienfaits"


Des bas. Voile fumé. Comme sur la publicité. Des jambes longues, lisses, légèrement hâlées, des jambes de femme.
Pourquoi tu t'empourpres comme ça, nigaude ? lance la mère qui, elle aussi, a eu dix-sept ans et des vapeurs qui vous mouillent le duvet autour des lèvres.
Des bas. On n'y a pas droit. Même dire le mot...
Mais aujourd'hui, c'est bal du 14 juillet et il sera là, alors...
En secret, elle porte à ébullition un litre d'eau, y laisse infuser deux grosses poignées de chicorée. Avec une boule de coton, elle applique le philtre sur les pieds, les chevilles d'abord, puis remonte le long de la jambe, de toute la jambe et rien que ça, l'idée de remonter si haut sur les cuisses, coupe le souffle.
Est-ce vrai qu'il a demandé après elle ?
Sur la place : la nuit, le muscat, les lampions, l'orchestre. Tout est là.
Il a gardé son uniforme de conscrit et elle a mis, pour la première fois, des jambes de femme. Tout est parfait.
Ils dansent. Il ne lui lâche pas la main, il ne lui lâche pas les yeux. L'amour est là.
Mais voilà que tombe l'une de ces petites averses d'été si charmantes, tièdes et odorantes. Les danseurs s'abritent en chahutant sous les arcades, et une brune toute en bouche, une déjà femme, dans la bousculade, accroche l'élu à son rire.
La magie s'évanouit.
La petite averse d'été coule, coule sur le visage de la jeune promise et les premières larmes se confondent avec les dernières gouttes. La brune rit et les jambes à la chicorée dégoulinent en exhalant des relents de cuisine. C'est fini.
Une averse. Une belle brune. De fausses jambes de femme. L'amour s'en va.

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