mercredi 20 juin 2012

Les dinosaures ont un petit coeur tout mou


Privée à jamais de l’amour de son bien-aimé, après avoir épuisé son corps et son âme de toutes ses ressources de larmes, elle se laissait dépérir et s’éteignait un ou deux ans plus tard, d’épuisement, de désespoir, de faim impossible à rassasier, elle mourait.
Elle nous fait bien rire aujourd’hui et essayez même de la prendre pour figure romanesque, votre ouvrage sera classé dans la collection Historique.
La douleur est un archaïsme.
Le compagnon d’Hélène depuis plus de quinze ans, l’homme de sa vie, le père de ses enfants, l’a quittée sans préavis ni autre forme de procès. Je l’ai rarement vue aussi radieuse. Elle a été au bord du gouffre certes mais c’est fini. Elle a passé les trois mois réglementaires où l’on est autorisé à souffrir. Il faut maintenant tourner la page et aller de l’avant. C’est ce qu’elle fait.
Raphael est célibataire et chômeur longue durée, père de deux garçons impossibles. C’est un bon camarade, toujours partant, toujours content même si la vie n’est pas facile. Il revient d’une convocation chez le proviseur pour son aîné qui ne va plus en cours ou bien systématiquement défoncé. « Ah, les ados, j’te jure », me lance-t-il dans un éclat de rire.
Le père d’Anouchka n’en finit pas de mourir. C’est tous les jours maintenant qu’il faut se rendre au chevet de cet homme qui l’a élevée seul dans l’exil et l’adversité pour constater s’il est déjà mort ou encore vivant. Depuis le choc inouï de l’annonce de sa fin prochaine, Anouchka n’est ni perturbée ni angoissée, parfois un peu fatiguée à cause des contraintes que la situation impose. C’est la vie, ce n’est rien, pas grave en tout cas. « Et toi, ça va ? »
Effexor, Prozac, Tranxène… puisque la difficulté ne doit être ni reconnue ni éprouvée, puisque les tristes et les inquiets sont des ratés, et la belle qui meurt d’amour une pauvre dinde.
Moi, je vais… cahin-caha. Je suis un dinosaure. Rustique, à l’haleine chargée, au pas lent et aux articulations douloureuses, totalement dépassé. J’en suis encore à interroger le ciel, pluie et soleil, miracles et catastrophes m’affectent.
Souvent le matin, je me demande si la journée vaut vraiment l’effort qu’il faudra fournir pour la porter, si ma vie a un sens, ce genre de questions grossières et obsolètes.
Je pleure quand j’apprends une mauvaise nouvelle, je dors mal quand on m’a mal traitée dans la journée, je n’ai pas envie de sortir faire la fête quand la terre s’ouvre sous mes pieds.
Je suis un dinosaure. Je vis un crépuscule dont personne ne veut entendre parler. Je n’ai probablement rien compris. Je crois encore que le malheur n’est pas inconvenant et que les émotions ne sont pas qu’un dérèglement chimique du cerveau.
Affligée d’endurance et d’espérance, je sillonne la plaine aride à la recherche d’un point d’eau. Je croise parfois quelques autres spécimens erratiques. De loin en loin. Bientôt plus âme qui vive… de ce côté-ci de la planète.
Suis-je vraiment seule sous ces latitudes à souffrir quand on me fait mal ?

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