mardi 4 décembre 2012

Sans adieu




Sans adieu commence ces jours-ci à tracer son chemin jusqu'à vous.
Le recueil est dès à présent disponible sur http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38558

 

 

 
 
 
 
 
 
Au fil des pages, sept nouvelles, sept histoires de disparition…
 
4ème de couverture
Quelque 50 000 personnes disparaissent tous les ans en France. La plupart reviennent ou sont retrouvées dans les deux semaines… des autres, on ignore tout.
Jean-Baptiste, Bianca, Sophie, François et les autres sont un amant, une mère, une amie, un fils et de leur disparu ils ne savent plus rien.
Partis sans explication ni adieu, ils condamnent ceux qui restent à vivre un deuil impossible, enfermés dans une citadelle où ricochent indéfiniment leurs questions sans réponse.
Le romanesque se régale volontiers du destin facilement tragique ou flamboyant des disparus, pourtant Jean-Baptiste, Bianca, Sophie, François et les autres ont une histoire, commune et unique, humble et poignante, qui dit mieux que toute autre le roman de nos vies.


Extraits
Louise entra dans sa vie et s’y installa sans la bousculer. Elle ne pesait pas plus qu’un petit animal domestique. Si elle pouvait se montrer capable d’audaces telles que celle qui l’avait poussée à aborder Jean-Baptiste dans le parc, Louise adoptait d’ordinaire une attitude docile et discrète. Toujours soucieuse de lui être agréable, elle le couvrait de mots doux et de tendres attentions. Elle riait à toutes ses plaisanteries et tombait en pâmoison à la moindre gentillesse de sa part. Elle parlait peu d’elle-même et l’interrogeait sans fin sur les péripéties de son existence. Durant les cinq mois que dura leur liaison, il se laissa bercer par l’adoration sans bornes qu’elle lui vouait mais n’éprouva jamais pour elle de véritables sentiments amoureux. Tous les soirs, elle frappait à sa porte. Il la laissait entrer. Elle le félicitait pour sa bonne mine, lui offrait une bricole : disque ou friandises. Puis elle astiquait l’appartement en attendant qu’il exprimât ses desideratas pour la soirée. Pauvre fille, s’exclamait-il pour lui-même en la voyant récurer les clayettes du réfrigérateur.
 
In Toutes les vies possibles

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Les journaux relatent d’atroces découvertes : des corps d’enfants enveloppés dans des sacs-poubelles sont jetés dans les fleuves, des corps d’enfants démembrés sont retrouvés épars dans les forêts sous le pourrissement des feuilles, des corps d’enfants suppliciés sont laissés à la pénombre des sous-sols.
Tous les matins, l’enfant n’appelle pas. Tous les matins, il faut à Bianca endurer le corps de Gaël en l’absence du corps de leur enfant. Les yeux clos, mimant le sommeil que la nuit lui refuse, elle le devine qui se dirige vers la salle de bains d’un pas traînant. Elle sait son corps puissant, son dos large dans l’encadrement de la porte, légèrement voûté, avec cette crispation de la nuque qui ne le quitte plus.
L’eau coule bruyamment dans le lavabo ; la radio annonce un temps froid et sec, des températures nettement en dessous de zéro. Les hivers sont doux par ici, seul février mord. De la salle de bains s’échappent des nuages de vapeur qui se transforment en fines pellicules de givre sur les vitres.
Il y a un an, un jour de février mordant, ce jour-là où la vie s’est rayée, dans le jardin glacé leur enfant avait fait ses premiers pas. Il venait de fêter son premier anniversaire. Ils s’émerveillaient alors que cette vie eût à ce point éveillé la leur à la joie. L’enfant c’est le meilleur entre eux qui a tourné au pire.

In Tu n’oublieras pas

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Maintenant, c’est l’heure ! Tout de suite alors Sofia se leva. Elle dormait habillée sous les draps comme si chaque nuit avait été jusque-là l’attente de cette nuit, de son signal. Au pied du lit, un petit sac de toile contenait les quelques effets qu’elle souhaitait emporter. Pas grand-chose. Pas grand-chose ne comptait à part lui. Elle le rejoignit sur le palier obscur. Dans le noir, prononça son nom. Dehors, ils coururent en se serrant la main. Leurs corps rapides ouvrirent une brèche dans la nuit. Ils s’y engouffrèrent.
 
In La meilleure amie de Sofia

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Aujourd’hui, elle devait avoir cinquante ans maximum et sa beauté demeurait remarquable malgré les cernes qui gâtaient un peu ses pommettes hautes, ses yeux en amande. La cinquantaine pas plus, quarante-cinq ans peut-être. Les abandons sont souvent le fait de jeunes filles qui n’auraient jamais dû être mères, et elle n’avait sûrement pas échappé à la règle. Ça arrive comme ça, à certaines filles, elles sont jeunes et elles deviennent grosses. Elle était particulièrement jolie et elle avait, bien sûr, ce charme propre à toutes les jeunes filles sans exception : une innocence, une cruauté, une bêtise de jeune fille, une beauté équivoque de fillette avec des seins qui pointent sous le tee-shirt, une beauté de pauvre cruche qui écrase son ventre sous sa jupe, qui ne s’aperçoit pas avant le septième mois qu’elle est enceinte, parce que c’est une chose impensable, et même une fois qu’elle le sait, elle ne le comprend pas. Ça se passe souvent comme ça et l’enfant naît sans que personne ne le sache, à peine elle-même.
Aujourd’hui, elle devait avoir quarante-cinq cinquante ans, pas plus. Des femmes de cet âge, les rues en étaient pleines. François les dévisageait. Elle était la boulangère débonnaire derrière son comptoir, la passante pressée sous la pluie, la voisine chagrine au manteau usé…

In Secret de caillou

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Je regagne ma place au salon où je m’assois du bout des fesses sur le canapé. Ils prennent place autour de moi. La table est dressée pour l’apéritif. Je suis l’idiote pour qui la représentation se donne. Une mise en scène scrupuleuse, dont les ressorts m’échappent, préside à chaque détail. Je ne doute pas que soient le fruit d’un calcul les vêtements qu’ils portent, l’assortiment des crackers, la musique en fond sonore... Je crains à tout moment de faire ou dire quelque chose d’inconvenant. J’aimerais que, pareils aux étrangers, ils me regardent simplement et croient ce qu’ils voient. Mais toujours une certitude précède leur regard. Ils arment leur mémoire contre les faits. Ils pressent leurs souvenirs et en extraient un épais jus d’orties dont ils me badigeonnent. Ils m’ont préparé une surprise. Mais d’abord, s’exclament-ils avec une gaieté exagérée, trinquons ! Après le second verre, ils me présentent Oscar : mon vieil ours en peluche.
Leur mine solennelle me dissuade d’en rire. Avec mille précautions, ils me tendent le jouet. Je m’en saisis et le pose gauchement sur mes genoux. Je souris et triture ses oreilles pelées, en panne d’attitude adéquate. Oscar ne suscite pas la brusque bouffée d’enfance escomptée. Je ne reconnais pas Oscar. Il faudrait probablement que submergée d’émotion je le renifle, le lèche et me couche dessus en babillant. Oscar aux pattes rapiécées, à la truffe râpée, me fixe de son œil unique. Dans une coupelle sur la table, je prends une olive noire et la lui pique à la place de l’organe manquant. Voilà : intervention réussie, pas de rejet de la greffe. Aussitôt, je me rends compte que ma plaisanterie n’est pas de très bon goût. Ils n’apprécient pas mon humour. Ils sont consternés.

In Mon nom de folle
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Elles étaient féroces. Deux petites filles brutales en robes fleuries. La nuit s’agaçait du grincement de leurs dents. Elles s’aiguisaient sans cesse l’une contre l’autre. Il arriva malgré tout qu’elles utilisassent leur rage non plus à se combattre mais à soumettre l’extérieur : lorsqu’on voulut leur retirer le chat Gaspard ou qu’il fallut convaincre maman de la supériorité pédagogique des colonies par rapport aux vacances familiales. Elles s’inventèrent même pour un plaisir qu’elles ne s’avouaient pas des batailles, absurdes et acharnées - faire espagnol première langue, porter des pantalons le jour de Noël-, qui les maintinrent quelque temps dans une paix délicieuse où pouvaient s’épanouir des jeux complices, des paroles affectueuses et des éclats de rire. Marie gardait de ces rares moments la douceur un peu amère des belles choses bien ratées et la certitude qu’elles aussi avaient caressé ce rêve de leur mère : deux sœurs. Très vite, très sûrement, d’un mot cinglant qui transformait en piège tout abandon, le rêve se rompait.

In Ce rêve de leur mère

 

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