mercredi 13 mars 2013

Cette année encore


Elles venaient enfants dans cette maison de famille. Les vacances au bord de la mer, les châteaux de sable, le manège de Pierrot, le sel qui dessine des serpents sur la peau et les veillées entre cousins. Elles sont venues adolescentes pour les lampions au bord de la plage baignée de lune, les garçons sur la promenade du phare, les premiers alcools clandestins avec les copains. Elles sont venues étudiantes avec leurs folles espérances, leurs livres et leurs cours à réviser, les soirées à refaire le monde. Elles sont venues avec leur mari pour le soleil, le repos trop bref et bien mérité, les interminables repas avec les amis, les cousins et leurs projets de pionniers. Elles sont venues avec leurs enfants, c’était si pratique et amusant avec les petits ; on plantait des tentes dans le jardin pour loger tout le monde : grands-parents, parents, enfants, petits-enfants.
Avec le temps, les plus âgés ont déserté la maison. Malades, fatigués, décédés. Elles ont continué à venir, l’air était toujours aussi bon malgré les épreuves. Elles sont venues sans les cousins à cause de fâcheries stupides et éphémères. L’année suivante, ils étaient de nouveau là. Elles sont venues sans leur mari, trop pris par leurs obligations professionnelles ou des aventures qu’elles faisaient mine d’ignorer, mais avec les enfants toujours. Puis les maris sont revenus avec elles et les plus grands des enfants ont volé de leurs propres ailes.
Les maris maintenant sont morts et les enfants aux quatre coins du monde se moquent de la petite maison de Cancale.
Les cousins ne viennent plus beaucoup, ni les amis d’antan. Lassés, fatigués, malades à leur tour.
Elles viennent tous les étés, toutes les deux, les deux sœurs. Elles s’assoient sur le petit muret qui délimite la plage. Leur place. Depuis soixante-dix ans.
Elles respirent l’air de la mer. Elles se sentent bien. Régénérées. Elles n’ont plus mal au dos ni le blues du matin.
Elles se taisent et regardent. Elles papotent et rigolent comme des gamines.
Elles ont cinq, quinze, trente, quarante ans…c’est toujours pareil. La mer débordante de possibles. L’écume scintillante. Le fluide vital qui court depuis l’horizon.
Elles ont cinq, quinze, trente, soixante ans…  la mer sans âge annule le temps.
Tiens, regarde. Cette année encore.
Elles sont là, face à la mer, les deux sœurs.
Le vent forcit et se charge de large. Elles se serrent l’une contre l’autre. Elles chuchotent.
Des larmes de sel dessinent de petits serpents délicats sur leurs visages.
Entre leurs doigts, elles font rouler de petits coquillages nacrés. Elles sourient.
Elles respirent au rythme des vagues.
Elles font des projets, encore, toujours, c’est la mer qui veut ça.

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