mardi 19 mars 2013

Une occasion en or


Elle ne sait plus quand ça a commencé.
Est-ce en elle depuis toujours ou cela lui a-t-il été inoculé par accident ou malveillance ? Qu’importe.  Ce qui compte c’est que c’est là. À chaque instant de sa vie, elle espère sa mort.
Elle ne voit pas d’autre solution au poids toujours plus lourd des jours, à son incapacité à se réjouir, au cœur qui s’émiette, au sang douloureux qui s’obstine et pulse comme dans une dent malade. Le matin au réveil, elle s’imagine le pistolet sur la tempe, elle tire puis elle ouvre les yeux et il faut se lever et entrer dans la journée. Elle traverse la rue sans regarder et le camion fou fonce droit sur elle, elle succombe aussitôt. Au bureau, elle s’intoxique avec le toner de l’imprimante et ne réchappe pas d’un coma foudroyant. Dans les galeries marchandes souterraines, les cinq étages conçus par un architecte incompétent s’écroulent sur elle. Elle étend la lessive sur le balcon et enjambe la rambarde, les enfants jouent dans le square en contrebas, ils seront mieux avec leur père.
Ce soir, elle somnole dans le RER du retour. C’est l’heure de pointe. Les passagers affluent, refluent, se bousculent. Le pistolet imaginaire sur sa tempe attend l’instant propice. Elle somnole sur la banquette. À côté d’elle, contre un strapontin, une valise sans propriétaire apparent. Les passagers affluent, refluent, se bousculent. La valise reste à sa place. Elle pense à un acte terroriste. Une occasion en or. La valise est à cinquante centimètres d’elle. Elle ne survivra pas. Station Auber. Les passagers entrent et sortent et la valise est toujours là. Si proche.  Elle ne risque pas d’agoniser durant des mois brûlée au troisième degré ou de végéter trente ans paralysée de la tête au pied. Châtelet-Les Halles. Les passagers se déversent sur le quai. Un nouveau contingent prend place, indifférent à la valise abandonnée. C’est parfait. Elle n’aura même pas le temps d’entendre la détonation. Mais Gare de Lyon sûrement, un voyageur s’en saisira.
En station, on descend en masse, on monte en masse. La valise n’a pas bougé. Une occasion en or.
Alors, juste avant la fermeture des portes, elle se précipite sur le quai et se rue vers l’escalier roulant. Elle ne veut pas mourir.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour,
toujours très noirs vos écrits, mais je les lis toujours avec plaisir.
merci