lundi 27 mai 2013

Le meilleur devant eux


Leurs mains. Doigts enlacés.
Ils chuchotent. Fort. Ils sont un peu sourds.
Jeanine 78 ans et Bautista 81 ans ont une requête.
Nacre rose aux lèvres, friction matinale d’eau de Cologne.
Dans le bureau où, sédiments, éclats de vies méticuleusement broyées, dans le bureau entre un petit vent ingénu.
Jeanine et Bautista sourient.
Se regardent. Je te tiens tu me tiens…  Qui lui explique à l’écrivain public, toi ou moi ?
On a le meilleur devant nous, lance-t-il avec malice.
Sur un carton blanc satiné, deux colombes en relief se bécotent.
On se marie !
Nos enfants, nos amis, comprennent pas.
Ça les dépasse.
Ça les blesse.
Ça leur fait peur.
Nous on n’a plus peur de rien !
Écho du carillon de sa voix. Main sur la bouche, surprise de son audace.
De quoi faudrait-il encore avoir peur ?
La tourmente, l’exil, la maladie, la mitraille, l’aile de l’oiseau de proie sur la nuque, le chagrin roulé en boule dans l’estomac, longtemps, longtemps, même la faim et les coups, c’est déjà vécu tout ça, hein ?! N’en parlons plus. De quoi faudrait-il encore avoir peur ?
Un petit texte dans l’enveloppe avec le faire-part, c’est ça qui serait bien.
Des mots pour les rassurer, les enfants, les amis. Voyez…
Pas des choses compliquées mais joliment tournées.
On jette les mots sur la table. On pioche. On commente. On repousse les guindés, les pas francs du collier. On garde les simples, les ensoleillés.
Vous pouvez écrire quelque chose avec ces mots-là ?
C’est un  beau métier que vous faites.
Six lignes bien modestes.
Quelque chose avec ces mots-là.
Je ne suis pas sûre que la beauté soit de mon côté.
Jeanine et Bautista repartent sous la pluie battante. Les mots, le faire-part sur le cœur.
En apesanteur, Jeanine et Bautista s’évaporent au coin de la rue.
Déjà vers le meilleur.

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