jeudi 16 mai 2013

Presque comme dans la chanson


Trop tard pour se défiler. Ils l’ont vue. Ils sourient. Et, réflexe idiot, elle sourit aussi.
Là au milieu des invités, avec Sébastien, c’est Marc, Marc Langlois ! Son soupirant des années lycée. Un brun trop maigre et trop timide qui durant trois ans s’était assis derrière elle en classe, amoureux toujours éconduit toujours éperdu.
Il a visiblement gagné en aisance Marc, et plus encore en corpulence. Et les cheveux, les cheveux… plus un si bien qu’un instant elle se demande si il les avait vraiment bruns.
Marc Langlois, chauve et bedonnant. Ce que les ans nous infligent !
Quoiqu’il n’ait pas été épargné, elle le remet sans hésitation. Il sourit. Il l’a reconnue aussitôt. 
Elle, elle n’a pas changé à part quelques rides d’expression ; la fesse un peu molle et le dessous des bras qui pend mais ça, habillée, ça ne se voit pas. On lui donne dix ans de moins au bas mot. Elle rentre de vacances, elle est en forme, elle rayonne, même son fils l’en a complimentée quand elle est sortie de la salle de bains, apprêtée pour cette mondanité qu’elle n’avait  pu décliner.
Marc Langlois, bon Dieu ! Il lui payait des cafés, lisait les livres qu’elle aimait juste pour pouvoir en parler avec elle, se débrouillait pour l’accompagner sur le trajet du lycée (elle le surprenait à laisser passer un bus, maladroitement caché derrière le kiosque à journaux, pour prendre le même qu’elle)… Il va la reconnaître, c’est certain, c’est déjà fait. La soirée sera pire encore que prévu.
Elle n’a aucune envie de revoir Marc Langlois, ni la plupart de ses amis de jeunesse. Elle les trouve tous si vieux, si pathétiques, et l’on n'a plus rien à se dire maintenant qu’on ne s’ennuie plus en cours avec madame Fabre en rêvant de la vie héroïque qu’on aura plus tard.
Marc Langlois lui sourit. Il a l’œil pétillant. Une vivacité dont elle ne se souvient pas qu’elle l’ait singularisé jadis.
Il ne voyait qu’elle et elle feignait de ne rien voir. Trois ans durant. Ce qu’on peut être ballot à cet âge, il aurait suffi qu’elle le décourage franchement, qu’il porte un instant son regard sur sa copine Fiona qui ne se serait pas faite prier elle.
Il lui avait offert des roses pour son anniversaire en seconde, il avait presque les larmes aux yeux. Oh, merde ! Marc Langlois !
Elle avait été son amour de jeunesse, le premier à coup sûr, celui qu’on n’oublie jamais. Marc toujours éconduit, toujours éperdu.
Elle va faire semblant de ne pas le reconnaître. Elle va nier. Il parait qu’on a tous sur cette planète un double parfait. Elle n’est pas sa Cécile et n’a pas étudié au lycée Lamartine.
Ils sont là. Ça y est. Sur elle. Tout proches. On se salue. On se présente. Cécile, je te présente Marc, un ancien collègue, il dirige Marson’s.
Mais il ne se passe rien. Pas d’effusions, ni regards appuyés ou bégaiements émus. Il ne se passe rien. Rien d’autre que les verres qui tintent et les amabilités d’usage.
Marc ne l’a pas reconnue.

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