mercredi 26 juin 2013

Un matin par ici


S’il se trouvait quelqu’un par ici, il la surprendrait ainsi, de dos, au sommet du coteau.
Sans doute ne l’entendrait-elle pas venir.
Aussi immobile que le ciel, elle contemple le paysage immuable. 
Onde tendre des vallons, hautes herbes bleutées, cri rouge des coquelicots, leur rire communicatif de talus en talus, et la chapelle romane, toute simple, de la pierre du pays brunie de lichens, petite âme parmi celles des arbres, des rochers, des insectes, à sa place comme l’est le ruisseau qui s’entortille en contrebas autour des aulnes.
Mais il n’y a personne pour la surprendre. Plus personne par ici.
Elle est tout à fait seule. On dirait qu’elle prie. La campagne s’éveille dans le silence des aubes de mai, limpide et ruisselant. Sa main repose sur le bois rongé d’une ancienne barrière qui dut séparer naguère un potager ou un chemin du paysage angélique.
Derrière elle, derrière la paix des tendres vallons, il y a la terre éventrée et fumante, des ruines de la même pierre que la petite église, un silence mat et suffocant, un silence de tympan crevé.
Tout est dévasté. Le village a été rasé, à l’instar de tous les autres, au loin, au-delà de la vue, qui empuantissent l’horizon. Pas âme qui vive, ou alors bien cachée, étouffée de gravats et de gargouillis de sang, ténue, vivante pour si peu de temps encore, déjà éteinte. Même les engins de guerre se sont désintégrés.
Elle a sans doute beaucoup perdu, peut-être tout. Rien ne l’indique. Elle tourne le dos au désastre. Le versant radieux du monde l’accueille et la reconnaît et imprime à ses cheveux le mouvement des herbes bleues.
Son  allure ne parle que de sérénité. Une promeneuse qui marque une halte, comblée par un parfum de mousse humide. Sur son visage flotte l’embarcation légère d’un sourire.
Elle a toujours été comme ça. Ne voir, ne regarder que le beau, que le bon. Jusqu’à l’idiotie, jusqu’à la grâce.
Et après tout… 
Puisque tout est détruit, puisque le néant a englouti le monde d’avant, peut-être a-t-elle raison.
Après tout puisque le soleil se lève encore, se lève toujours, dans un embrassement inespéré et douloureux d’ambre et de parme.
Après tout…

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