mardi 3 décembre 2013

Au désert, qu'as-tu vu ?

Dans ta bouche, la blessure du soleil cru.
Une pierre de Rosette arrachée à ta retraite.
Au désert, qu’as-tu vu ?
Il faut se montrer plus radical, déclames-tu, et de projets d’ascèse, tu assommes ton entourage. Tu décrètes qu’il est grand temps. De la saison des questions tu sonnes le glas, place à l’illumination !
Dans ton panthéon, bien sûr : le désert hagiographique. Et pourquoi pas toi ?
Chaperonné par un aéropage de saints et de sages dont tu peux réciter les salutaires paroles, te voilà enfin rendu aux les portes de l’infini.
Le désert paraît conforme à sa légende, la pratique en est rude. Soleil implacable, roches et sable ligués pour le pire, aussi exigeants que des postures yogi. C’est sûr, le continent de la foi est ici.
Sous la lumière tendue comme un arc, cèdent un à un les liens qui t’entravent. Que vienne l’ultime détachement ! À moins qu’au désert, tu n’embrasses un authentique attachement, à Dieu, à l’amour, à la fusion cosmique ou à autre chose. Tu restes ouvert à toutes voies, chacun sa cartographie spirituelle.
Donc au désert, qu’as-tu vu ?
De l’étendue sans queue ni tête et de la durée à en perdre la notion, de la durée au kilomètre et du silence, du silence, têtu, des paysage de pierres nues, de la chaleur et du froid, tous les deux sans issue.

Les heures, avec la chaleur et le froid et l’espace, en ronde tournent sans fin autour de toi, t’exaltent et t’égarent ainsi qu’un vent de sable.
Les bras ouverts, tu t’offres au vent et aux heures. Prêt pour un assèchement total de soi. Aucun salut ne le couronnera mais tu l’ignores encore et dans l’incertitude, tu accueilles l’épreuve comme une bénédiction. Mieux, tu la provoques, au risque de trébucher sur ta volonté.
Le manque de repos, d’eau, de nourriture, tant mieux ! Parfait ! Révélation, illumination ! C’est le moment où jamais !
Tu mises beaucoup sur la solitude à moins que quelques pèlerins plus chevronnés que toi n’apparaissent pour te donner un coup de pouce.
Abruti de fatigue et de silence, tu guettes sans répit. Les paupières écarquillées jour et nuit, surtout la nuit. Car elle n’est pas ici comme ailleurs, ici quand elle tombe le ciel tombe aussi et vous enveloppe ; les constellations et les mystères, on peut les toucher. Serait-ce le sacré qui vient ?
Malgré les promesses de patience que tu t’es faites, l’invective t’échappe : illumination, illumination ! c’est le moment où jamais.
Demain je m’en vais, menaces-tu.
Tu plonges furieusement dans l’immensité du firmament mais l’immensité ne veut pas de toi et refuse de t’engloutir. Tu flottes comme sur la mer Morte.
Et finalement, ne récoltes que de pauvres visions, nées de la soif et de l’épuisement.
Quelle déception !
Au désert, il n’y a rien.
Tu peux, à défaut de rencontrer le Divin, espérer  te transformer en vent, en temps, si tu restes encore un peu, assez longtemps.
Tu attends.
Tu attends.
Une caravane passe – retraite ne vaut que si elle s’arrête -, tu la hèles.
L'heure est venue de tirer la leçon. Abattu, tu ne t’avoues pas vaincu. Avec le recul, tu comprendras sûrement ce que tu as sur le bout de l’esprit.
Dans ta bouche, la blessure du soleil cru.
Un stigmate à décrypter.
Au désert, qu’as-tu gagné ?
D’une expérience un peu ratée, la peau brûlée et des cors aux pieds. Tu aimes à t’en amuser. Sans doute aussi, comme du sable au fond d’une poche, un peu d’humilité.
Il est possible que quelque chose t’ait quand même été enseigné qu’ils te pressent de leur transmettre.
Au désert, qu’as-tu vu ?
La soif t’a fendu la langue et tu ne peux que pauvrement sourire sur ton âme toute nue.
Mais qui la voit ?

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