J’étais
un enfant, je vivais avec mes frères et mes parents en lisière d’une petite
ville de banlieue, dans une modeste maison environnée de campagne, champs à
perte de vue et forêt touffue, derrière une inextricable haie de thuyas où s’attardait
la rosée et proliféraient les araignées.
J’étais
un enfant, je vivais dans une dimension plus vaste que la simple réalité de ma
famille, de l’école, de la haie de thuyas, entouré de créatures invisibles et
d’objets doués de vie. Aussi loin que je me souvienne, j’entrais en
communication avec tout ce qui peuplait le monde. J’assistais depuis la
terrasse aux conciliabules des moineaux sur la meilleure façon de berner le chat
des voisins, la pluie frappant les carreaux de ma chambre m’envoyait des
messages cryptés, le fauteuil râpé sur lequel je livrais des batailles de
figurines m’alertais toujours au retour de mon père de son humeur, d’un massif
de graminées le long du chemin s’échappait un ensorcelant bouquet de voix de
fillettes… Tout vivait, bruissait constamment et le plus simplement qui soit.
Un jour, au
fond de la remise abandonnée, dans les rayons lumineux d’un tourbillon de
poussière, le temps d’une vibration de l’air, m’apparut même un ange, un vrai,
sans ailes mais doté de l’intensité de présence propre aux êtres de cette
nature. J’en fus saisi, sapristi un ange ! puis transporté mais pas
effrayé. Une enfance pétrie de catéchisme et de vieux contes où le surnaturel
règne en maître et des dispositions naturelles m’avaient déjà rendu familiers
les esprits de toutes sortes.
Ce monde de mystère trouble et envoûtant qui m’enveloppait n’était d’ailleurs pas malveillant ni véritablement inquiétant que par esprit de farce et les surprises aussi ahurissantes fussent-elles ne me surprenaient pas, j’étais à un âge où tout est première fois, neuf, intrigant et incompréhensible. Le mystère, tout comme l’extraordinaire, m’était chose absolument normale.
Ce monde de mystère trouble et envoûtant qui m’enveloppait n’était d’ailleurs pas malveillant ni véritablement inquiétant que par esprit de farce et les surprises aussi ahurissantes fussent-elles ne me surprenaient pas, j’étais à un âge où tout est première fois, neuf, intrigant et incompréhensible. Le mystère, tout comme l’extraordinaire, m’était chose absolument normale.
Souvent
solitaire dans ce monde surpeuplé, il m’arrivait d’épier les enfants plus âgés
et les adultes qui se livraient à des cérémonies étranges et des rituels
fascinants dont le sens m’échappait. J’étais exclu de leurs manœuvres et ils me
renvoyaient d’un « Va jouer ailleurs » plein de dédain. Ils faisaient
des secrets de rien. Pourquoi vouloir me cacher quelque chose à moi qui voyais
bien plus qu’eux ? Lorsque j’eus atteint l’âge de comprendre ce qui se
jouait entre ces grandes personnes je fus fort dépité, aucune trace de magie dans
cette vraie vie tant attendue. Je regrettai
alors d’avoir grandi si vite et me réfugiai dans le grenier où je tentai de ressusciter
les fantasmagories de mon enfance. Ce temps ignorant de lui-même où dans ce
même grenier encombré, je me racontais des histoires à voix basse, guettant pendant
des heures la survenue des esprits cachés dans les malles. L’une d’entre elles
finissait parfois par s’ouvrir et laissait échapper une forme vague, un
rayonnement spectral au bleuissement délavé. L’apparition durait quelques
secondes et me laissait plein de frissons. Une sensation aiguë de puissance
s’emparait de moi : j’étais capable d’établir des connexions avec
l’infinité des entités inconnues. Toutes les portes pouvaient encore être
ouvertes. En plein mystère, ai-je jamais été plus proche de la vérité ?
Le monde
d’alors, aux frontières perméables entre réel et imaginaire, était en tout cas
aussi plein qu’il est aujourd’hui truffé de vides.
Voilà
bien longtemps que je n’ai plus conversé avec un châtaignier ni vu d’ange.
Rescapé
du plus banal des naufrages, mon monde ne se peuple plus que des images de l’écran
de mon iPhone et des injonctions de la plus triviale nécessité.
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