jeudi 17 mars 2011

Les larmes, la terre

On nous a dit de ne plus manger les légumes. Surtout ceux qui se développent dans la terre : carottes, pommes de terre, oignons. La terre contaminée empoisonne. La terre est une boue grise et poisseuse jusque par-delà les souches de l'ancienne forêt.
Mais par ici, il n'y a jamais eu grand-chose qui pousse hors de terre, chez nous même les légumes se planquent. Il reste le chou.
On a demandé : et le chou ?
On nous a répondu, humm, oui, mais le risque zéro n'existe pas, le chou c'est un peu jouer à la loterie, en bourse, à la roulette russe s'il fallait donner un équivalent.
Au début, on ne mange rien à part les dernières conserves qui nous restent, des pâtisseries sous vide, des aliments lyophilisés trouvés au hasard des maisons dont il ne reste que l'armature, pareilles à des branches d'arbres en hiver.
Puis, on a faim et on attend le camion qui n'arrive pas.
L'air est redevenu limpide, de plus en plus silencieux, de plus en plus suspendu, il donne l'impression d'une aube continue.
On ne nous dit plus rien depuis un moment déjà et le ciel est muet comme une tombe.
On fait bouillir l'eau avant de la boire comme si bouillir pouvait quelque chose. Nos moyens sont dérisoires.
On nous a dit qu'il fallait être patient et que dans quelques temps tout irait mieux, tout irait comme avant. Nous sommes condamnés mais pas stupides. Nous savons qu'il faudra être patient au moins plusieurs générations. Ce sera trop tard pour nous.
Alors, je prépare une soupe, je fais bouillir longtemps le chou, les carottes, les pommes de terre et les oignons.
Je m'agenouille près de mon mari, je prends sa main inerte et grise comme la terre, et je lui promets un bouillon maigre comme nous aimions en prendre parfois le dimanche soir quand nous avions reçu tout le week-end et que, nos amis partis, nous étions heureux de nous retrouver tous les deux, sans mot dire sans rien faire d'autre que boire ensemble un bol de soupe.

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