samedi 13 octobre 2012

Crépuscule vert sur le périphérique


Crépuscule vert sur le périphérique. Lueur onirique, sirupeuse et amère. A ce crépuscule-là que j’ai laissé derrière moi, l’âme en fête,  je reviens le cœur en charpie.
Heureux celui qui comme Ulysse …
Sur mes maigres épaules tombe en pelures le manteau du désenchantement.
Crépuscule vert comme nulle part ailleurs me reconnais-tu ?
J’ai fait le tour du monde.
Je ne le raconterai pas ou bien je l’inventerai.
Je reviens m’échouer, bois flotté, à l’écume brune des entrepôts d’Aubervilliers, recraché par la gueule d’un rêve étoilé à la Rimbaud. Tour du monde. Pont de Bagnolet, point d’arrivée.
Pont de Bagnolet. Ce n’est pas ce que je voulais. Éblouissements vert-de-gris dans les miroirs des tours. Mains crispées, corps chaviré. Amarré à la rambarde. Happé par la coulée automobile. De la tête au pied, tremblements. La ville crisse sous mes dents et lime mes nerfs.
Me voilà de retour. Une décennie plus tard, au point de départ. Aussi brisé qu’un soldat.
Dix-huit ans pile, âge de conscrit, je suis parti. La vie était un beau voyage et je comptais m’y tailler une place de choix à la mesure de ma faim.
Paris aujourd’hui. Vingt-huit ans. Paris de nouveau. Après la boucle autour de la terre. Pour toute gloire la connaissance des k.-o. et le parfum de tous les caniveaux du monde.
Porte des Lilas, il y a-t-il une place pour celui qui n’a pas fait fortune ? Tour de la ville. Porte des Lilas, je ne connais plus personne. Plus un visage, plus un rade, plus une cage d’ascenseur.

Grimper quatre à quatre, héroïque, l’escalier délabré étroit comme un boyau vers la tanière de l’enfance. M’man, ça y est j’suis rev’nu ! Merveilles lointaines des mille et une aventures de ton fils par péniches entières arrivent ! Bientôt. Remontent la Seine. M’man j’suis rev’nu !
Porte de la Chapelle, plus d’escalier délabré, plus de studio pourri, ma mère a disparu et l’enfance s’en est allée.
Je reviens, toute espérance diluée dans le bocal trouble du monde. Je reviens avec des appétits de vieillard : un lit, une assiette de rata, un petit boulot, s’occuper pour arriver jusqu’à la fin sans trop dérouiller.
Crépuscule vert comme ma défaite. Couleur de ma honte répandue sur la ville.
Demain, je frappe à la porte de mon oncle, si elle existe encore et si elle s’ouvre. Un coup de peigne, un coup de salive sur les genoux lustrés du pantalon. C’est moi ! J’suis rev’nu !
Demain, j’embauche au magasin de mon oncle si sa proposition tient encore. C’était de la blague les horreurs que je t’ai dites, j’étais jeune. As-tu une place pour moi ? Une place pas forcément belle, pas forcément grande. Chauffeur, manutentionnaire, homme à tout faire.
Porte de Clignancourt, ciel à l’agonie. Toujours le bol de soupe debout sur le trottoir pour tous les traîne-misère. Cette fois-ci j’y goûte. Ciel de cul de bouteille. L’aumône d’une rasade. Regarde au fond des yeux la grande solitude verte. La ville me souffle son haleine croupie entre les côtes. Dans le reflet des vitres du bus Atlas des sans-abri, ma silhouette marécageuse.
Crépuscule vert sur le périphérique. Je ravale mes larmes et ma morve.
Porte de Saint-Ouen, je me couche. Pas la force d’aller frapper à la porte ce soir.
Porte de Saint-Ouen, la rumeur de la ville clapote. Je m’allonge sur la berge du périphérique et tire sur moi la couverture du ciel. Froid et glauque. Vert qui se marbre de noir, abyssal, et m’avale.

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