vendredi 28 septembre 2012

15 minutes d'entraînement par jour


Accueillez la vie avec le sourire, elle vous le rendra.
Je dois avoir l’air particulièrement sinistre pour qu’elle me tende cette maxime par-dessus le zinc fatigué.
Je ne riposte pas et réponds à sa bonne humeur matinale en me redressant le plus gaillardement possible sur mon tabouret de bar.
Il ne sert à rien d’opposer à la généreuse naïveté de Mireille mon cynisme. Je m’y suis essayé au début, me délectant même de ce petit intermède en guise d’échauffement avant d’attaquer le désastre de la journée.
Cela ne m’apportait qu’un fugitif ricanement dépourvu de réel bénéfice et attristait Mireille sans la convaincre. Alors, à quoi bon ?!
Mireille est agent d’entretien dans la champignonnière d’immeubles de bureaux de La Défense, je suis cadre supérieur dans l’un de ces prétentieux sièges d’entreprises.
Pour signaler à ma camarade de bistrot que malgré ma mine peu engageante je suis disposé à entamer notre conversation quotidienne, je lui fais remarquer que les jours rallongent et qu’une aube presque rose – j’ose « l’aube rose » – nous salue à travers la vitre poussiéreuse. Oui, ça fait du bien, on se sent plus vaillant hein !?
Non, je ne me moque plus du contentement volontariste de Mireille. Je ne la soupçonne plus d’être stupide au point d’éprouver de la reconnaissance envers l’existence pour un mari odieux, un fils handicapé, un appartement insalubre, d’interminables heures de ménage nocturne dans les bureaux.... Elle n’est pas rancunière, c’est tout.
Espérer et positiver est une tournure d’esprit tout à fait spontanée chez elle. Question de nature, de culture ou d’éducation, je suis moi un homme déprimé. Depuis toujours. Avec de trompeuses mers d’huile et de dévastateurs raz-de-marée. C’est comme ça. J’ai longtemps été sûr de mon pénétrant jugement sur le monde et la condition humaine, du genre moi je sais et il n’y a pas de quoi se fendre la poire. Cette conviction d’être dans le vrai contre l’ignorance imbécile des autres a peut-être apporté un temps quelque onctuosité à ma mélancolie.
Mireille, indéfectiblement radieuse et plus finaude qu’il n’y paraît, a réussi à insinuer un doute dans mon esprit. Ce doute n’a aucun effet positif notable sur mon existence. Il faut peut-être encore un peu de patience.
Pour l’heure, et pour un malheur dont je suis seul responsable, je n’ai pas encore le secours de cette foi insubmersible qui l’habite. Je ne sais pas me réjouir d’une nuit de travail finalement moins fatigante que prévu, des premiers abricots de la saison, du thé surprise pris avec la voisine, de chaussures en plastique astucieusement sectionnées pour libérer les orteils douloureux, de l’averse qui nourrit la terre et de l’éclaircie qui réchauffe le cœur.
Mireille me sidère.
Tous les matins, vers 8h, depuis neuf ans, nous sirotons nos cafés au comptoir du Metro. Elle bavarde, bavarde, je l’écoute et me surprends à bavarder moi aussi. Pour prolonger ce moment, souvent je lui offre un deuxième café.
Au début, nous nous regardions en chien de faïence. Le costume sans doute : trois pièces pour moi et vieux jogging pour elle. Puis à force de cafés pris silencieusement à quelques coudées l’un de l’autre, d’échanges de banalités, ses pieds déchaussés et mes cernes neurasthéniques ont pour ainsi dire sympathisé.
Tous les matins, à la même heure, je m’arrête dans ce bar pmu qui ne paye pas de mine pour m’encourager d’un petit noir.
Depuis un bon moment, c’est surtout pour elle que je viens. Dix minutes, chaque jour aussi étonnantes, en compagnie de Mireille qui tous les matins trouve un motif de rendre grâce à la vie.
J’ai les mêmes raisons de sourire qu’elle, de me lamenter aucune qui tienne devant les siennes, je le sais. Mon indécrottable noirceur me fait parfois désespérer. Pour chemin je trace un cercle, on voit qu’avec moi, y’a encore du boulot.
Le week-end, le café au comptoir s’est mis à me manquer et je voudrais que la vie soit une fable où je pourrais demander à Mireille d’enseigner au cancre que je suis sa philosophie simplissime.
8 h 12, Mireille va rentrer à la maison pour une brassée de tâches domestiques et quelques heures de sommeil, je vais me rendre aux premières réunions de la journée. Bon ben… glisse-t-elle de son tabouret. Ben ouais, m’attardé-je.
8 h 15, la journée commence, je m’applique à faire bonne figure – ensuite, le reste vient sans peine paraît-il - et je prends soin de ne pas soupirer ni me frotter le front, ces poses de nanti éreinté chagrinent Mireille et je ne veux pas chagriner Mireille, j’aime bien Mireille.
Je tente un sourire, un rictus assez effrayant que me renvoie le miroir piqué, mais, elle, elle voit que j’y mets du mien et salue l’effort d’un lumineux A demain Jean-Louis, bonne journée.
Merci, vous aussi.
Oui, je me réjouis de ce rendez-vous quotidien… peut-être bien que je progresse finalement.
 A demain Mireille.
 

Aucun commentaire: