dimanche 9 mai 2010

Durer jusque-là





Durer jusque-là est mon premier roman, paru en 2006 chez HB éditions. Le catalogue de cette maison a été repris depuis par Le mot fou éditions. "Durer jusque-là" est disponible sur http://motfou.over-blog.com/





Quatrième de couverture

Un monde inconnu, une atmosphère hostile, dangereuse, dont on comprend assez vite qu'elle est celle de notre monde après une catastrophe, ou une série de catastrophes pas très naturelles. Les guerres que l'on croyait reléguées pour toujours derrière l'écran de la télé se sont rapprochées et ont finalement ravagé "notre" pays. La narratrice s'abrite dans une cave, et nous allons suivre ses aventures dans le paysage dévasté, hanté par des bandes de sans-abri en guenilles et par de mystérieux "anéantisseurs". Ces péripéties sont entrecoupées par les souvenir d'"avant", enfance, puis éveil à la vie amoureuse de la narratrice.
Un roman d'anticipation, mais aussi un "roman d'apprentissage" à double titre : d'abord le récit de la jeunesse de l'héroïne (il vient régulièrement interrompre celui de la lutte pour la survie), qui forme en lui-même un beau roman réaliste, puis le récit de l'apprentissage du désastre, ou comment résister, vivre malgré tout au milieu des ruines : durer jusque-là.


Extraits

J'ai la cave.
J'ai la rivière derrière les ruines.
J'ai un cahier et une arme.
J'ai des jambes qui pourront courir encore si la situation l'exige.
J'ai les réserves de l'ancienne conserverie de poissons. Les stocks ne dureront pas toujours mais suffisent pour demain.
J'ai beaucoup de chance. Moi, je dure.

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L'aube qui arrive est un soulagement. Ouvrir les yeux et voir la pièce inondée de blanc! Je peux quitter la chambre immense, les cavernes du premier étage. Je dévale l'escalier. Je gagne la cuisine qui sent le pain grillé et la sueur de Souad déjà bras nus. Je retrouve sa rudesse sans malveillance, sa corpulence rassurante, son immense savoir des cycles lunaires, des herbes contre les cauchemars et des secrets d'une argenterie toujours brillante. Allez, mange, gourmande-t-elle. T'es maigre. Rien que les os sous la peau. T'es malade ou quoi ?! Le lait et le miel, au moins ça. Ce même lait chaud au miel que je porte quotidiennement à ma tante en guise de salut matinal. Bonjour, ma tante. Rien que les os sous les draps.
Son visage gris se tourne vers moi. Elle grimace un sourire. Elle m'apprend que ma mère est venue lui rendre visite tôt ce matin. Elle se tenait là, juste à ma place, et lui a donné une médaille. Mais où est cette médaille ? Elle a disparu. Est-ce moi qui l'ai volée ? Ma tante m'interroge en fixant mon sourire idiot. Elle insiste, s'énerve et s'essouffle. Sa bouche bleuit et ses yeux immenses roulent de colère. Elle se redresse sur ses coudes tremblants pour me dire à quel point je suis... Va jouer, m'arrache Souad, elle voit des choses.

Je me replis vers la véranda et médite cette découverte. Ma tante voit des choses. Quelle révélation! C'est la première fois que j'ai la preuve que les adultes fabriquent des images. Et des visions si souveraines qu'elles rivalisent sans honte avec la réalité et s'y substituent. Au point que ma tante n'est plus capable de reconnaître la maternité de sa vision et l'attribue sans hésiter à l'œuvre du monde ou du Dieu mort qu'elle serre entre ses doigts, et dont elle caresse à longueur de journée le petit corps d'ivoire.

Je dois moi aussi parvenir à faire apparaître-disparaître au gré de ma fantaisie. Encouragée, je décide d'aiguiser ce don. Dès lors, je consacre de longues plages de temps à un entraînement dont je constate l'efficacité. Je vois de plus en plus de choses invisibles aux autres et des pans entiers de leur réalité, dont je suis pourtant l'un des protagonistes, appartiennent pour moi au néant. Forte de ce pouvoir, je me mets à croire que je peux créer un monde contre le monde qui me dévore. Le temps m'apportera des désillusions mais la vie gagnera en légèreté, évitant que par elle je périsse piétinée.

Je reçois une gifle monumentale. Je jubile. Le rire me secoue. J'exulte. Je reçois une deuxième gifle. Alors, rugit mon oncle, ça fait dix minutes que je te demande de m'apporter mes mots croisés. Pas vu. Pas entendu. J'ai fait disparaître mon oncle. Je m'entraîne. Apparaître-disparaître. Peu à peu, j'invente tellement de choses que lorsqu'un événement désagréable se produit, je peux me faire croire que ça n'existe pas.

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Je cours à travers la campagne, dans la boue, la lumière boueuse, car la boue est dans l'air aussi et colle comme un vêtement mouillé. La terre explose à cinquante mètres à peine. Je reçois des touffes d'herbe, de l'humus, des débris de bois et de ciment qui m'éraflent le visage mais aussi des matières indéterminées, humides et gluantes, qui laissent des traînées sur mes vêtements. Je cours. Je me fous des matières et de leur provenance. Je cours. Repliée sur moi-même, le plus invisible possible dans le paysage. Parfois, des hommes courent à proximité de moi. Parfois, des animaux courent à proximité de moi.

Ensuite, se succèdent des jours et des nuits de pluie battante. Saturée, la terre ne boit plus rien. Les arbres ruissellent. Je ruisselle. Sur mes cheveux, mes vêtements : des rigoles. Ma peau se fripe. Je me recouvre d'une écorce molle. Je touche le ciel du doigt et il me pisse dessus.

Un matin, derrière un talus, je distingue malgré le brouillard les promesses d'une ville : refuge et nourriture. J'ai toujours mon arme contre moi. Je m'approche en rampant. La terre est liquide, je nage vers la ville. C'est une ville détruite, encore une. Pareille aux autres, si pareille que c'est peut-être encore et toujours la même : la mienne que j'ai fuie et autour de laquelle je cours et reviens pour la quitter à nouveau pour des campagnes identiques, également défoncées.

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