mercredi 26 mai 2010

Au bord de la mer

   À cet endroit reculé de la plage où le sable se mêle déjà à la terre, une croûte de sel recouvre le sol. Sous son poids, la fine pellicule se brise en minuscules échardes salées qui brûlent ses genoux et les paumes de ses mains. Il s'active derrière elle. Elle ne le voit pas, et c'est mieux ainsi. Elle voit la mer, ou plutôt, dans l'obscurité, la frise d'écume livide qui meurt à quelques mètres d'eux. Il est concentré, le bruit de sa respiration, à intervalles réguliers, est couvert par celui des vagues. Au loin, les lueurs des bateaux et leurs reflets à la surface de l'eau tremblent dans pénombre. Elle se demande combien de temps cela va durer. Elle se demande s'il y a quelque chose qu'elle devrait faire ou dire.
   Il s'appelle Chris. Elle ne sait pas s'il s'agit du diminutif de Christian ou de Christophe, elle ne s'en est pas inquiétée. Ils ne se reverront sans doute pas. Pour le souvenir qu'elle aura de lui, Chris suffira bien.
   Cette nuit-là, elle ne dort pas. De retour dans la chambre qu'elle partage avec ses cousines, elle ne veut rien rater de l'aube. Elle regarde, à travers les persiennes, la lumière se dresser et inonder le monde, rarement elle ne lui a paru si triomphale.
   Du bout des doigts, elle inspecte chaque partie de son corps : ses tempes, ses lèvres, l'intérieur de sa bouche et de ses cuisses, son poignet et sa nuque. Elle effleure ses genoux douloureux qui garderont pour le reste de la semaine des marques de brûlure. Voilà, c'est fait, se dit-elle, l'épreuve est passée comme celle, un mois plus tôt, du bac.
   Cette formalité réglée, elle se grise les jours suivants des moindres transformations liées à son nouvel état. Elle se sent invulnérable. Dans le miroir, elle se trouve belle ; dans la rue, elle marche la tête haute ; elle fait des projets d'avenir qu'elle consigne dans un cahier et classe par ordre de priorité.
   Un après-midi, sur la plage, elle l'aperçoit qui discute avec un groupe d'amis. Il lui adresse un regard, un signe discret de la main. Elle est soulagée qu'il ne vienne pas jusqu'à sa serviette. En plein jour, sa beauté lui paraît insipide et l'aplomb de son rire ridicule, alors que c'est cette même assurance, excessive, un peu feinte, qui l'avait fait le choisir lui dans cette boîte de nuit. Au ras du sable, la clameur des conversations se distord pareille à un mirage de chaleur. D'un coup d'ongle, elle fait sauter une petite croûte sur son genou droit et, pour échapper à cette malencontreuse rencontre, court se jeter dans les vagues. Elle aurait préféré que l'événement se produise le dernier jour des vacances, ainsi elle n'aurait pas eu à le recroiser et lui aurait maintenu la tête dans l'oubli pour se concentrer sur l'essentiel. Avant de regagner la plage, elle reste longtemps à frissonner dans les courants frais venus du large et ne sort de l'eau que lorsqu'il s'éloigne du rivage et qu'il ne reste plus de lui que le minuscule point rouge de son maillot de bain. Finalement, il disparaît derrière une dune comme crève un petit ballon de fête foraine.
   À nouveau, elle peut penser à demain, cette immensité dont il lui semble enfin tenir les rênes. C'est vraiment magique, la première fois.



2 commentaires:

J-C Féraud a dit…

Très beau texte Laurence...(c'est mieux que "sur la plage abandonnée , coquillages et crustacés" ;-)
Je fais de la pub pour ton blog sur Twitter...tu devrais avoir un peu de visites et donc un meilleur référencement.
Bises JC

phpuigserver a dit…

Comment laisser passer sa chance d'une première fois surtout sur un texte comme ça ; me voici donc premier commentaire et espérons de bon augure pour une immensité à inventer. C'est magique, appelez-moi Phil, le reste importe peu.
Bises !