mardi 11 mai 2010

L'hypothèse des forêts






L'hypothèse des forêts est mon deuxième roman, paru en 2009 chez Delphine Montalant éditions. Il est disponible sur http://www.editions-delphine-montalant.com/







Quatrième de couverture

Il y a longtemps, il s'est produit quelque chose.
Tu préférerais ne pas en parler. Les saisons ont passé.
De l'enfance, tu ne voudrais garder que la forêt.
Tu te souviens. Tu es arrivée dans la grande maison au milieu des bois un peu avant les grandes vacances. C'est ton père qui vous avait conduites, tes sœurs et toi, chez tante Lucie. Il t'importait peu alors que ta garde soit confiée à cette tante inconnue plutôt qu'à ton père, à peine plus familier. C'était un été très chaud, très sec. Des feux partaient spontanément dans les champs et les consumaient jusqu'aux racines.
Vous étiez ensemble : Rose, Léonie, Hortense.
Tu avais confiance.
Tu ignorais encore que le passé résiste au feu et à la chance.

Extraits

Lorsqu’à l’approche de l’été les nuits devenaient douces et limpides, il arrivait que je dorme dans la forêt. Je guettais le début de l’aube, ce moment où l’on prend encore le jour qui vient pour un éclat de lune et je quittais la maison. Je m’enfonçais dans les bois et parcourais les sentiers obscurs en les flairant comme une bête.
Je fourrageais les taillis en quête de l’un de ces refuges dont la forêt se montre prodigue : grottes sombres, tanières protégées de rideaux de racines, fouillis de branchages abandonnés par les animaux, matelas de mousse épaisse et odorante qu’abritent des auvents de schiste. Je rampais puis m’allongeais sous les fougères. Le jour avançait lentement, halé par les cris des oiseaux. Encore engourdi d’un sommeil tiède de fourrures et de plumes, tout un remue-ménage animal commençait à se faire entendre. J’étais dans le ventre de la forêt. Je me barbouillais d’humus, me recouvrais de feuilles mortes au bruit de papier bonbon. Le sang de la forêt m’irriguait. Sa lueur glauque coulait sur moi à travers les feuillages. Les étoiles dans le ciel fondaient et tombaient en gouttes de rosée jusque dans ma bouche. De jeunes pousses de chêne, au ras du sol, me chatouillaient les narines. J’émettais pour rire des sons de gorge, des grognements de bête qui mouraient en vibrant contre mon palais et mes dents. J’empoignais les fougères. J’écrasais sur mon visage leur dentelle de chlorophylle. Puis le vert alentour perdait son arrière teinte de pierre et je rentrais en courant vers la maison encore endormie.

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Je suis Rose au sommeil tourmenté. Je suis Rose qui chaque nuit rêve de sa mère. Je me réveille en souhaitant sa mort ou d’autres choses qui reviennent au même. Et ma peau part en lambeaux.
J’applique sur mes bras, ma poitrine, de nauséabondes décoctions et de poisseux onguents. Je dis en même temps les mots qu’on m’a appris. Je dors couverte d’hasardeux cataplasmes de plantes médicinales exotiques. À mon réveil, les draps sont tachés de sucs mystérieux et sous les compresses végétales, je découvre une peau toute neuve, rosée et fine. Je redeviens pareille à une jeune pousse vigoureuse et saine.
J’ai quatre ans. Ma peau se craquelle et part en poussière. Ce n’est pas absolument insupportable mais assez répugnant. Déguerpis ! rauque ma mère. Est-ce dans mon souvenir ou dans mon rêve ? Il me semble avoir vécu cette scène, ou plusieurs scènes de ce type dont les réminiscences aujourd’hui se confondent. Déguerpis ! Un rictus tord la bouche de Léonie qui souffre dans les bras de maman. Maman la presse, la serre contre elle. Serre. Serre. Léonie suffoque et se tortille. Maman serre encore : Mon bébé, ça va aller. Le visage de Léonie livide contre les seins de maman… Je vacille de douleur et d’envie. Ma main me gratte. Être Léonie ! Avec son ventre dans un étau, ses fièvres, ses évanouissements. Mourir comme Léonie brûlée par l’amour de maman. Sauve-toi, m’ordonne Léonie dans le rêve. Qu’est-ce que tu attends ? Sauve-toi !

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Hortense avait la danse, moi la forêt. Ça nous tenait. Léonie, elle, partait dans tous les sens et de travers. Mauvaise graine, mauvaise herbe. Après les bêtises de l’enfance, très vite s’étaient enchaînées les histoires pas très claires : les vols, la colle à rustine, les garçons. La guerre ne s’est jamais arrêtée entre elle et Lucie, elle et nos parents absents, elle et le monde. Elle rêvait d’ailleurs, elle voulait partir. Nous lui avons donné toutes nos économies un soir de novembre. Lorsqu’elle a quitté la maison elle n’était pas majeure, j’avais douze ans. Elle n’est pas reparue de longtemps. Elle nous écrivait chez Nico des lettres pleines de tendresse et de rage.



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